La Constitution et le mariage gay en Espagne – A propos de l’arrêt STC 198/2012 du Tribunal constitutionnel
La Constitution et le mariage gay en Espagne – A propos de l’arrêt STC 198/2012 du Tribunal constitutionnel
Par Hubert Alcaraz
Hubert Alcaraz, Maître de conférences en droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, membre de l’Institut d’études ibériques et ibérico-américaines (CNRS, UMR 7318).
La présente contribution a pour objet de faire le point sur le débat constitutionnel espagnol autour de la question du mariage homosexuel. Elle prend pour point de départ la décision du 6 novembre 2012 par laquelle le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours d’inconstitutionnalité contre la loi 13/2005 ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe.
Plus de huit ans après son introduction dans l’ordre juridique espagnol, le mariage homosexuel 1 qui, un temps a défrayé la chronique 2, ne paraît plus susciter de vive émotion dans la patrie de Don Quichotte 3. Sans doute l’apaisement et la normalisation s’expliquent-ils par le temps écoulé, mais aussi par l’intervention du juge constitutionnel qui, en jugeant la loi introduisant le mariage des couples de personnes de même sexe dans le droit espagnol conforme à la Constitution, a désactivé sur le plan juridique un débat qui, ensuite, s’est également éteint sur le plan politique, l’alternance n’ayant pas provoqué la remise en cause redoutée par certains 4. Pourtant, il faut bien reconnaître que l’épilogue a été long à intervenir, nourrissant espoirs et inquiétudes : ce ne sont pas moins de sept ans qui ont été nécessaires au Tribunal constitutionnel espagnol pour enfin statuer ! En effet, saisi en 2005 de la conformité à la Constitution de la loi 13/2005 ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe 5, ce n’est qu’en 2012, soit sept ans plus tard, par un arrêt du 6 novembre, qu’il a finalement rejeté le recours d’inconstitutionnalité 6. Dans un premier temps, et une fois de plus, c’est donc le temps excessivement long mis par le juge constitutionnel à statuer qui a retenu l’attention.
Néanmoins, la solution, si elle paraît aujourd’hui satisfaisante aux yeux de l’opinion publique espagnole 7, était loin d’être acquise et chacun pouvait argumenter dans un sens ou dans l’autre : sollicitée, la Constitution faisait l’objet d’interprétations variées, chacun voulant y trouver les dispositions propres à soutenir sa position, favorable ou, à l’inverse, contraire à la constitutionnalité du texte de 2005. L’argument constitutionnel, dès l’origine largement invoqué, était évidemment au cœur de la saisine du Tribunal constitutionnel et de son raisonnement. Pourtant, la lecture de l’arrêt laisse perplexe, tant sa motivation paraît fragiliser la validation de la réforme par le juge constitutionnel.
Durant les huit années de présidence du gouvernement par José Luis Rodríguez Zapatero 8, les réformes de société ont nourri le projet politique du leader du PSOE (Partido socialista obrero español), la loi relative au mariage homosexuel, avec celle sur la libéralisation de l’avortement 9, en constituant l’un des jalons majeurs, mais aussi l’un des plus controversés 10. Annoncé officiellement lors du discours d’investiture de José Luis Rodríguez Zapatero à la présidence du gouvernement le 15 avril 2004, le projet de loi, après l’opposition du Sénat, a finalement été approuvé le 1er juillet 2005. La réforme est radicale, même si elle est d’apparence modeste : la loi 13/2005 autorise le mariage pour les personnes homosexuelles, en établissant une égalité absolue entre les couples qui se marient, indépendamment de l’orientation sexuelle des conjoints. Modeste, elle se contente de substituer aux références à l’homme et à la femme, figurant jusque là dans le code civil, celle indéterminée aux conjoints. Ici, la modification essentielle résulte de l’introduction d’un nouvel alinéa 2 à l’article 44 du code civil, qui dispose désormais que « Le mariage répondra aux mêmes conditions et produira les mêmes effets que les deux cocontractants soient du même sexe ou de sexe différent » 11. Radicale, la réforme l’est, cependant, puisqu’elle met en place une assimilation complète 12 entre le régime juridique des deux types d’unions, hétérosexuelle et homosexuelle : outre le mariage, elle autorise les couples homosexuels à recourir à l’adoption ainsi qu’à la procréation médicalement assistée.
Au-delà même de la sphère politique, les réactions institutionnelles furent vives. Très vite, la question de la conformité du projet à la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 fut évoquée, tant par le Conseil d’Etat espagnol que par le Conseil général du pouvoir judiciaire ; tous deux doutèrent de sa constitutionnalité, soutenant que le mariage, au sens constitutionnel du terme, ne pouvait être qu’hétérosexuel 13. Et le 30 septembre 2005, presque quatre mois après l’entrée en vigueur de la loi 14, un recours d’inconstitutionnalité fut formé par des députés du Partido Popular 15. L’argumentation des requérants articule de nombreux griefs, souvent mal étayés. Parmi ceux-ci, deux critiques principales se font jour, fondées sur l’atteinte supposée à deux articles de la Constitution, les articles 32 et 39. A l’image des observations déjà formulées par le Conseil d’Etat et le Conseil général du pouvoir judiciaire, les auteurs du recours font valoir, d’une part, que la nouvelle rédaction de l’article 44 du code civil violerait l’article 32 de la Constitution, en donnant au vocable « mariage » un sens différent de celui « qu’il a toujours revêtu » ; d’autre part, que l’article 39 de ce texte serait méconnu par la possibilité d’adopter offerte aux couples de même sexe, transgressant l’obligation qui pèse sur les pouvoirs publics de garantir « la protection intégrale des enfants ». Par huit voix pour, trois contre et une abstention 16, le Tribunal constitutionnel rejette le recours et juge que la décision d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe ne porte pas atteinte à l’institution matrimoniale, en particulier à ce que la Constitution désigne sous le terme « mariage », pas davantage que l’ouverture de l’adoption à ces couples mariés ne méconnait l’intérêt de l’enfant. En apparence synthétique et claire, cette solution n’en répond pas moins à une avalanche de moyens : en dehors de la violation des articles 32 et 39, les requérants invoquaient, pêle-mêle, celles des articles 9, alinéa 3 17, 10, alinéa 2 18, mais aussi 14 (conjointement avec les articles 1, alinéa 1, et 9, alinéa 2) 19, 53, alinéa 1 20, et 167 de la Constitution 21. Face à des griefs aussi abondants, le Tribunal constitutionnel tente de faire œuvre didactique et prend soin, dès les premiers fondements juridiques de son arrêt 22, de préciser l’objet du recours. Il n’entend ainsi retenir et examiner que les éventuelles méconnaissances des articles 32 et 39 qui étaient, en réalité, les principaux motifs d’inconstitutionnalité invoqués ; en effet, le succès de l’argumentation des requérants dépendait, pour l’essentiel, de la réponse qui serait apportée à la question de la définition constitutionnelle du mariage. De son côté, la famille, si elle n’était évidemment pas absente, nourrissait peu la saisine et, à l’image des autres griefs, la validité de l’ouverture de l’adoption était directement reliée à celle du mariage. Aussi, par le biais d’une délimitation du champ matériel de la requête, tous les autres griefs invoqués 23 sont-ils écartés comme inopérants, car non autonomes 24 ou non fondés.
Finalement, sept ans après l’entrée en vigueur de la loi, et la célébration d’un peu plus de vingt-deux mille unions 25, c’est l’ensemble du nouveau dispositif qui est validé. Préoccupant, un tel cas de figure n’est pas inédit en Espagne 26. C’est d’autant plus préoccupant qu’il paraissait difficile, d’un strict point de vue juridique, d’anticiper la solution finalement retenue par le juge constitutionnel tant les dispositions constitutionnelles, comme la jurisprudence afférente, pouvaient faire l’objet de lectures variées, voire opposées. Les chances de succès du recours, comme celles de son échec, pouvaient sembler tout autant avérées. Certes, on objectera que sur le plan « stratégique », dans une période où son prestige est très largement atteint 27, le Tribunal constitutionnel pouvait être soucieux de ne pas provoquer, une fois encore 28, la défiance d’une partie de l’opinion publique 29. En outre, d’un point de vue politique, plusieurs personnalités du Partido Popular, dont certaines sont aujourd’hui ministres, avaient fait connaître en 2005 leur opposition à toute action contentieuse devant le juge constitutionnel contre la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe 30. Sur le plan juridique, enfin, le Tribunal ne pouvait être indifférent aux préoccupations de sécurité juridique. Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de ces conjectures, l’arrêt 198/2012 tranche la question vivement controversée qui avait véritablement accaparé le débat. Pourtant, il faut regretter qu’il le fasse sur la base d’un raisonnement peu convaincant, de sorte que si la solution retenue paraît tout à fait admissible, une motivation alternative aurait dû, plus justement et plus solidement, être retenue 31 : faisant preuve d’une certaine audace, le juge constitutionnel recourt à une motivation maladroite pour admettre la constitutionnalité de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe (§ I). La possibilité d’adopter, reconnue à ces couples mariés et placée dans l’étroite dépendance de la définition du mariage, se trouve alors également et logiquement validée (§ II).
§ I – La reconnaissance maladroitement motivée de la constitutionalité du mariage gay
L’interprétation livrée par le Tribunal constitutionnel dans l’arrêt 198/2012 ne manque pas d’audace, en ce sens que le juge constitutionnel écarte ici le principal grief soulevé par les requérants, tranchant une controverse vivace depuis plusieurs années 32. Au prix d’une argumentation longue et sinueuse, il recourt à une interprétation qu’il qualifie d’« évolutive » de l’article 32 de la Constitution et clôture le débat de la conformité de la loi à cette disposition (A). Pourtant, le lecteur ne peut que regretter qu’il y parvienne en s’appuyant sur un raisonnement maladroit qui fragilise la solution finalement retenue (B).
A – L’« interprétation évolutive » de l’article 32 de la Constitution
L’apport principal de l’arrêt consiste, alors même que la doctrine n’était pas parvenue jusque là à dégager une interprétation indiscutable de l’article 32, à lever cet obstacle constitutionnel, « afin de plaider pour la reconnaissance législative du mariage homosexuel » 33. Selon cette disposition, « 1. L’homme et la femme ont le droit de contracter mariage en pleine égalité juridique. 2. La loi déterminera les formes du mariage, l’âge et la capacité requis pour le contracter, les droits et les devoirs des conjoints, les causes de séparation et de dissolution et leurs effets » 34. Une telle rédaction, en particulier la référence explicite à « l’homme et la femme », avait fait naître des doutes quant à la constitutionnalité de la réforme, exprimés parfois de manière ferme, voire militante, par certains organes de l’Etat 35. A cet égard, si la voie de la « privatisation » du mariage paraissait engagée, toutes les mutations ne sont pas achevées 36 et la jurisprudence constitutionnelle, elle-même, bien qu’elle ait connu des évolutions, ne paraissait pas clairement pencher dans le sens d’une interprétation déterminée. Le débat faisait donc rage 37 et le Tribunal constitutionnel choisit, courageusement, de le vider.
Directement influencée par le droit constitutionnel allemand et la théorie allemande des droits fondamentaux, la jurisprudence constitutionnelle espagnole a toujours identifié dans l’article 32 de la Constitution un double contenu : d’une part, une garantie institutionnelle au bénéfice du mariage et, d’autre part, un droit subjectif 38. Conformément à cette conception, le mariage se présente, à la fois, comme une institution garantie par la Constitution et, dans le même temps, comme un droit fondamental, subjectif, celui de « contracter mariage » 39. Bien que le « droit de contracter mariage » 40, c’est-à-dire le droit de se marier ou de ne pas se marier, mais aussi le droit de contracter librement mariage avec la personne de son choix, dès lors qu’elle y consent 41, aient été convoqués par les auteurs du recours, c’est avant tout autour de la garantie institutionnelle du mariage que ceux-ci ont construit leur argumentation. Dès lors, si c’est au regard de ce double contenu que le Tribunal devait examiner la loi afin de rechercher, d’un côté, si elle portait atteinte à la garantie institutionnelle du mariage et, de l’autre, si elle introduisait des limites constitutionnellement inacceptables au droit de contracter mariage, seule la question de la garantie de l’institution matrimoniale retenait fondamentalement l’attention comme susceptible de nourrir une véritable inconstitutionnalité.
Plus précisément, quant au contenu de la garantie institutionnelle, il était soutenu que la nouvelle rédaction de l’article 44 du code civil modifiait l’institution matrimoniale au point d’aboutir, en réalité, à sa dénaturation pure et simple. En d’autres termes, c’est l’éventuel caractère intrinsèquement hétérosexuel du mariage qui était en cause. De ce point de vue, la question posée était, en apparence, simple : la réforme en cause diversifie-t-elle simplement les hypothèses de mariage ou le transforme-t-elle radicalement, allant donc au-delà de ce que permet la Constitution ? Pour les auteurs du recours, toutes les interprétations de l’article 32 susceptibles d’être retenues confirment l’exclusion constitutionnelle des couples de même sexe de l’institution matrimoniale. En effet, selon une interprétation littérale, la référence expresse à l’homme et à la femme permet de considérer qu’il y a là une « réserve constitutionnelle du mariage en faveur des couples hétérosexuels », tandis qu’une interprétation « systématique », c’est-à-dire une lecture conjointe des articles 32, 39 et 58 de la Constitution, aboutirait à la même conclusion. Enfin, une interprétation « authentique », s’appuyant, cette fois, sur les travaux préparatoires de la Constitution, débouche sur la même solution.
En contentieux constitutionnel, la garantie institutionnelle est traditionnellement présentée comme un mécanisme visant à protéger une institution, déterminée et reconnue par la Constitution, contre les tentatives du législateur de la supprimer ou de la dénaturer. De cette façon, c’est « l’existence d’une institution, c’est-à-dire d’un objet juridique institué, qui n’existe que par l’effet de l’ordre juridique étatique » 42 qui est sauvegardée. A cet égard, sans être confondue avec la dimension objective du droit fondamental en cause 43, la garantie institutionnelle vient compléter la dimension subjective du droit, l’Etat ne pouvant préjudicier à la sphère institutionnelle protégée par celui-ci 44. Cette technique « objective » le droit fondamental, car elle convertit son contenu non pas seulement en une faculté d’agir abstraite mais en un aménagement normatif d’une réalité déterminée, en l’espèce le mariage 45. Le Tribunal constitutionnel avait déjà indiqué qu’une telle garantie « n’assure pas un contenu concret ou un domaine de compétences déterminé et définitivement fixé mais la préservation d’une institution en des termes reconnaissables pour l’image que celle-ci revêt dans la conscience sociale en tout temps et en tout lieu » 46. Aussi, à lire la jurisprudence, l’atteinte est constituée « lorsque l’institution est limitée, de telle sorte qu’elle se voit pratiquement privée de ses possibilités d’existence réelle en tant qu’institution pour ne devenir qu’une simple appellation. (…) En somme, l’unique prohibition clairement identifiable consiste dans la rupture claire et nette d’avec l’image communément acceptée de l’institution (…) » 47.
Tirant partie de la préoccupation des constituants, qui consistait à « déconnecter mariage et famille, à proclamer l’égalité des conjoints au sein de l’institution, et de constitutionnaliser la séparation et la dissolution », sans se préoccuper d’autres questions 48, le Tribunal souligne que le silence du texte quant aux autres caractéristiques du mariage ne permet de tirer aucune conclusion, dans quel que sens que ce soit. Il choisit alors de poser un présupposé méthodologique selon lequel c’est une lecture dynamique du texte constitutionnel qui doit être privilégiée 49 : « la Constitution (…) à travers une interprétation évolutive, s’adapte aux réalités de la vie moderne (…) non seulement parce qu’il s’agit d’un texte dont les grands principes sont applicables à des hypothèses que ses rédacteurs n’envisageaient pas, mais aussi parce que les pouvoirs publics (…) actualisent lentement ces principes et parce que le Tribunal constitutionnel (…) dote les normes d’un contenu qui permet de lire le texte constitutionnel à la lumière des problèmes contemporains et des exigences de la société actuelle (…) » 50. L’interprétation de l’article 32, et notamment de la garantie institutionnelle qu’il comporte, doit, par conséquent, être faite en prenant en compte la vision « plurielle » de l’institution matrimoniale, qui peut admettre l’inclusion d’une autre forme d’union : le couple stable formé par deux personnes de même sexe.
Bien que la modification soit incontestable, à l’issue de la réforme, l’institution matrimoniale n’en est pas moins organisée dans des termes conformes à l’image que la société espagnole se fait aujourd’hui du mariage. Puisque le caractère hétérosexuel de l’union ne fait pas partie, selon le juge constitutionnel espagnol, des caractéristiques essentielles du mariage 51, le législateur a simplement fait usage de la compétence dont il dispose en matière d’organisation de l’institution, sans outrepasser les limites posées par la Constitution 52. Et il ne reste plus, alors, qu’à examiner le contenu du droit fondamental, entendu dans son sens subjectif, qui, quant à lui, ne suscitait pas de réelles controverses : ni la règle de l’égalité juridique entre conjoints, ni celle du consentement mutuel, ni la pluralité de droits et de devoirs attachés au mariage, pas davantage que le droit de ne pas contracter mariage, n’étaient entravés ou dénaturés, dans la mesure où l’ouverture du mariage aux couples homosexuels ne prive en rien les personnes hétérosexuelles des facultés dont elles disposaient jusque là et elles continuent à pourvoir librement se marier ou, au contraire, ne pas se marier 53. Et à ce stade de son raisonnement, le Tribunal constitutionnel ne peut alors que conclure selon une formule proche de celle retenue par le Conseil constitutionnel français : il n’appartient pas au Tribunal constitutionnel « d’examiner l’opportunité ou la pertinence du choix opéré par le législateur, pas davantage que déterminer s’il s’agit de la meilleure ou de la plus adéquate des solutions possibles » 54. Pour autant, il faut regretter que cette solution soit assise sur une motivation maladroite.
B – Une motivation maladroite
L’intention était louable et le résultat remarquable. Regrettons que le raisonnement déployé pour y parvenir soit mal construit et fragilise, ainsi, la solution retenue. En effet, face aux lectures contradictoires qui paraissaient pouvoir être faites du texte constitutionnel, le juge constitutionnel a choisi de faire triompher la conciliation. Mais la voie empruntée pour y parvenir paraît discutable, au moins sur deux points : cette solution semble faite, d’une part, d’hésitations ; elle recourt, d’autre part, à un raisonnement construit sur la notion douteuse de « culture juridique ».
D’une part, les hésitations naissent de la structure de la motivation elle-même. Ce sont trois fondements juridiques qui sont consacrés à la question de la conformité du nouvel encadrement législatif du mariage avec l’article 32 de la Constitution 55. Or, le recours apparaît résolu dès le premier 56, puisque le juge constitutionnel indique faire le choix d’une interprétation évolutive de la Constitution, selon laquelle le nouveau dispositif n’est pas contraire à l’article 32, le mariage étant, aujourd’hui, une notion « plurielle » les unions stables entre personnes de même sexe. Mais, avant même de retenir ce postulat méthodologique, le Tribunal avait déjà posé une double affirmation : en premier lieu, si les rédacteurs de la Constitution en 1978 n’ont pas envisagé le mariage des couples de même sexe, ils ne l’ont pas, pour autant, exclu, tandis que, en second lieu, la liberté et l’égalité garanties par la Constitution ne sont pas exclusivement applicables au mariage hétérosexuel, mais peuvent également bénéficier aux unions homosexuelles 57. Par conséquent, le mariage entre personnes de même sexe « est une option non exclue par le constituant ». Le point le plus discuté de l’affaire, qui suscite encore pour certains des doutes, apparaît ainsi en quelque sorte « préjugé », ce que la suite du raisonnement ne vient pas véritablement démentir, au contraire. On en prendra pour preuve le fait qu’une fois ce grief apparemment écarté, des développements substantiels sont consacrés à une supposée violation du droit fondamental de contracter mariage, dont personne ne soutenait sérieusement qu’elle puisse être avérée en l’espèce.
D’autre part, et c’est là l’élément le plus déstabilisant, le Tribunal choisit de revenir sur la notion de garantie institutionnelle, déjà longuement examinée, pour souligner, que dès lors qu’est en cause la dimension subjective du droit fondamental de contracter mariage, la garantie institutionnelle se confond avec son contenu essentiel 58. Dans les deux cas, le grief vise une éventuelle atteinte à l’« image de l’institution dans la culture juridique » et à son « fonctionnement effectif » 59. Outre, on l’a dit, que le doute de constitutionnalité ne paraissait pas ici sérieux, la question n’a-t-elle pas déjà été résolue ? C’est bien la conclusion à laquelle paraît parvenir le Tribunal constitutionnel lui-même : après avoir indiqué, au terme d’une distinction peu convaincante, que la nouvelle rédaction de l’article 44 du code civil permet « que l’exercice du droit se concrétise avec une personne du même sexe », ce qui ne correspond pas à « un accroissement de la liste des titulaires du droit individuel mais à une modification des formes de son exercice » 60, il consacre de nouveaux développements au contenu essentiel du droit, pour écarter l’idée selon laquelle l’article 32 obligerait le législateur à réserver le mariage aux seuls couples hétérosexuels. On peine ici à suivre la logique, d’autant plus qu’une fois de plus, la référence à la notion de garantie institutionnelle apparaît pour reconnaître aussitôt qu’il s’agit là d’un élément de pure rhétorique 61. En effet, le concept a été forgé pour pallier l’absence d’opposabilité des droits et libertés au législateur, afin de leur conférer une forme d’indisponibilité face aux actions du parlement ; le recours à cette catégorie juridique est, par conséquent, aujourd’hui superflu dans un Etat de droit constitutionnel comme l’Espagne.
Pourtant, le Tribunal en fait encore usage, au moment de mettre en œuvre une « interprétation évolutive » de la Constitution, fondée sur la « culture juridique » et une motivation plus douteuse encore. De ce point de vue, si le recours exprès à l’argument de droit comparé est fréquent en contentieux constitutionnel espagnol, il est rare qu’il prenne une dimension comparable à celle qu’il revêt en l’espèce. En effet, l’arrêt ne s’en tient pas au seul rappel d’une jurisprudence étrangère, mais tire argument du raisonnement tenu par la Cour suprême canadienne pour adopter une vision comparable de ce qu’est un texte constitutionnel : « un arbre vivant » qui, « à travers une interprétation évolutive s’adapte aux réalités de la vie moderne afin d’assurer sa propre importance et sa légitimité, et non seulement parce qu’il s’agit d’un texte dont les grands principes sont applicables à des hypothèses que leurs rédacteurs n’avaient pas imaginées mais également parce que les pouvoirs publics, et particulièrement le législateur, actualisent ces principes lentement et parce que le Tribunal constitutionnel, lorsqu’il contrôle l’adéquation constitutionnelle de ces mises à jour, dote les normes d’un contenu qui permet de lire le texte constitutionnel à la lumière des problèmes contemporains et des exigences de la société actuelle auxquels la norme fondamentale de l’ordre juridique doit apporter des réponses, au risque, dans le cas contraire, de rester lettre morte».
Et il ajoute que cette lecture « évolutive » de la Constitution, dont il choisit de faire application, « conduit à exposer la notion de culture juridique » 62. Cette dernière se construit « non seulement à partir d’une interprétation littérale, systématique ou originale 63 des textes normatifs », mais également à partir de « l’observation de la réalité sociale susceptible de présenter une importance au regard du droit, sans que cela n’aboutisse à reconnaître une force normative directe aux faits », au regard des « opinions de la doctrine juridique », du droit comparé, « de l’activité internationale des Etats », de la jurisprudence européenne et communautaire et des opinions émises dans le cadre du système des Nations Unies 64. Voilà pourquoi à ses yeux, la garantie institutionnelle du mariage devait faire l’objet d’une relecture tenant compte des évolutions sociétales.
Pourquoi avoir recours à une argumentation aussi abondante et confuse ? Le législateur a, en effet, non seulement l’obligation de respecter les structures fondamentales de l’institution, mais aussi l’obligation d’adapter le droit existant aux évolutions du cadre social dans lequel elle s’inscrit, afin d’assurer la préservation de cette institution dans ses traits caractéristiques 65. Inutile pour ce faire d’en appeler à la jurisprudence canadienne et à la métaphore de l’« arbre vivant » 66. Le concept de garantie institutionnelle n’entend pas assurer la pétrification de ladite institution mais suppose, au contraire, son caractère évolutif et son ouverture aux changements sociaux ; par conséquent, rien n’empêche le législateur, tant qu’il reste dans l’importante marge de manœuvre dont il dispose et faute de rencontrer une prohibition constitutionnelle expresse, d’élargir l’institution afin d’y inclure de nouvelles hypothèses. Cela ne porte pas atteinte au texte constitutionnel puisqu’en la matière, l’unique contrainte qui résulte de la Constitution consiste dans l’interdiction pour la nouvelle loi de supprimer ou de dénaturer substantiellement les éléments essentiels, c’est-à-dire le noyau dur, de l’institution garantie. Certes, on objectera alors sur ce point qu’il est évident que le mariage hétérosexuel constitue précisément un de ces éléments essentiels. Cela ne fait aucun doute. Cependant, pourquoi devrait-on en déduire que la reconnaissance légale du mariage homosexuel porte atteinte à ces éléments essentiels ? En quoi l’admission d’une nouvelle forme de mariage viendrait-elle violer l’autorisation, qui perdure, du mariage entre un homme et une femme et qui relève des éléments intangibles de l’institution ? Ce noyau dur n’est pas garanti afin d’interdire des développements postérieurs de l’institution, susceptibles d’accroître sa portée mais, au contraire, dans le but d’empêcher toute évolution législative restrictive qui aboutirait à faire disparaître cette institution 67.
Ainsi, le juge constitutionnel aurait-il pu se contenter de constater que l’ouverture du mariage pouvait être considérée comme le résultat de l’évolution sociale. Au lieu de cela, il choisit de multiplier les justifications, et d’avoir recours à une motivation contestable 68. Le rôle du juge constitutionnel n’est pas de dire si la loi est conforme à la Constitution, mais de dire si elle n’y est pas contraire 69. Le fait que la conception d’une institution évolue n’a pas grand chose à voir avec une interprétation évolutive de la Constitution ; c’est le contenu de la garantie institutionnelle qui a évolué et non pas le sens que le juge constitutionnel entend attacher à cette expression dans le cas du mariage, sauf pour lui à quitter son office pour se faire « pouvoir constituant permanent » 70 et à encourir la critique d’un « gouvernement des juges », alors que puisque la constitutionnalité de l’ouverture du mariage était acquise, la possibilité d’adopter se voyait subséquemment validée.
§ II – La constitutionnalité subséquente de la possibilité d’adopter offerte aux couples mariés de personnes de même sexe
L’unique grief formulé à l’encontre de la possibilité d’adopter offerte aux couples mariés de même sexe résidait dans l’atteinte qui serait ainsi portée à la protection de l’intérêt de l’enfant. Cette préoccupation renvoyait, plus généralement, à la question de la définition de la famille elle-même, mais aussi à problématique de la faculté offerte au législateur de distinguer entre divers types de familles. L’admission de l’ouverture de l’adoption au bénéfice des unions de personnes de même sexe résulte d’une définition libérale de la famille (A), issue d’une jurisprudence étoffée, permettant au juge, cette fois à travers de brefs développements, de valider l’assimilation des unions hétérosexuelles et homosexuelles en matière de droits attachés au mariage (B).
A – La confirmation d’une définition libérale de la famille
Mariage des couples de même sexe, comme définition de la famille, avaient déjà occupé, bien que dans des proportions distinctes, les réflexions du juge constitutionnel espagnol. En particulier, la notion de famille, déterminante au regard de l’admission de l’adoption par les couples homosexuels, avait retenu l’attention de la cour constitutionnelle espagnole qui, prenant acte de l’évolution dont la Constitution de 1978 était porteuse, en tirait une vision assez libérale de ce qu’il convient d’entendre par « famille ».
D’une part, la famille légitime, du point de vue de sa différenciation d’avec les unions de fait, en particulier homosexuelles pour ce qui nous intéresse ici, avait, dès les années 1990, nourri le contentieux constitutionnel. A propos spécialement des couples de même sexe, le Tribunal estimait que la différence fondamentale existant entre les couples de sexe différent et les personnes souhaitant s’unir avec une personne du même sexe résidait dans le fait que les premières disposent d’un choix entre une union formalisée ou une coexistence largement libre d’encadrement normatif, alors que les secondes ne bénéficient pas de cette alternative 71. Du reste, il avait admis que la différence de traitement entre couples mariés et couples non mariés était régulière et dès 1994, il renvoyait le législateur à ses responsabilités 72. A cet égard, c’est sur la base des articles 32 de la Constitution et 44 du code civil que la jurisprudence du Tribunal suprême 73 et la doctrine de la Direction générale de l’état civil avaient été bâties, qui refusaient la célébration de l’union de deux personnes de même sexe 74.
Néanmoins, certains signes pouvaient laisser penser que la position du juge constitutionnel n’était pas figée. En effet, il considérait que « comme la coexistence de fait d’un couple hétérosexuel, l’union entre personnes du même sexe biologique n’est pas une institution juridiquement encadrée, pas plus qu’il n’existe un droit constitutionnel à son établissement ; à la différence du mariage entre un homme et une femme qui est un droit constitutionnel qui fait naître ope legis une pluralité de droit et de devoirs » 75. Dès lors, selon lui, il fallait « admettre la pleine constitutionnalité du principe hétérosexuel comme qualificatif du lien matrimonial (…) ; de telle sorte que les pouvoirs publics peuvent réserver un traitement privilégié à l’union familiale constituée par un homme et une femme (…) ». Mais il ajoutait aussitôt que cela « n’exclut pas que le législateur puisse établir un système de mise à égalité grâce auquel les couples homosexuels pourraient bénéficier de la totalité des droits et bénéfices attachés au mariage, ainsi que le propose le Parlement européen » 76. Entretenant une certaine ambiguïté, cette décision ne plaidait pas pour une ouverture du mariage, et des droits qui y sont liés, aux couples de même sexe, pas davantage qu’elle ne s’y opposait. Le juge constitutionnel se gardait de trancher dans un sens ou dans l’autre, préférant sans doute se ménager une certaine souplesse pour l’avenir. Du reste, cette solution, isolée, intervenait avant ce que certains ont désigné comme « le changement radical des mentalités s’opérant à la fin des années 1990 » 77, et par la voie d’une simple ordonnance. Probablement conscient de ces incertitudes, le Tribunal constitutionnel prend ici soin de préciser la portée de cette ordonnance : « il ne peut être déduit de forme automatique que le mariage hétérosexuel est l’unique option constitutionnellement légitime » 78.
En outre, une certaine ambiguïté était entretenue à l’égard des évolutions à l’œuvre au sein des Communautés autonomes espagnoles. En effet, dès 1998 ces dernières ont, tour à tour, adopté des lois en matière d’encadrement normatif des couples stables de même sexe 79, certaines allant jusqu’à octroyer le droit d’adopter à ces couples 80. Or, le Tribunal constitutionnel a toujours retardé le moment de se prononcer sur la question de la conformité à la Constitution de certains de ces nouveaux dispositifs 81. D’ailleurs, avant même l’arrêt 198/2012, il s’était refusé à connaître de la constitutionnalité de la loi 13/2005 lorsqu’elle avait été contestée par la voie de questions d’inconstitutionnalité : parmi les juges chargés de la tenue des registres d’état civil, et dès lors qu’étaient en cause des mariages entre personnes de même sexe, certains contestèrent en bloc la conformité de la loi à la Constitution, tandis que d’autres invoquèrent leur droit à l’objection de conscience pour échapper à leur devoir. A toutes ces occasions, le juge constitutionnel parvint à échapper à un jugement sur le fond en rejetant les questions d’inconstitutionnalité comme irrecevables car posées par des juges n’agissant pas, lors de la tenue de l’état civil, comme des organes juridictionnels mais comme des agents du ministère de la justice 82. En toute hypothèse, l’irrecevabilité ne permettait pas de tirer de conclusions définitives quant à l’éventuel succès du recours d’inconstitutionnalité formé à la même époque.
D’autre part, quant à la famille envisagée plus généralement cette fois, le Tribunal constitutionnel espagnol avait pris acte de l’évolution marquée par la Constitution de 1978 : le nouveau texte constitutionnel, porteur d’une mutation considérable, pose l’accès au mariage comme un droit autonome, face à la famille à laquelle il se trouvait jusque là traditionnellement lié. Le mariage est désormais différencié de la famille. Au sens constitutionnel, la famille n’est pas seulement issue du mariage mais recouvre aussi d’autres formes de coexistence affective, la Constitution retenant une conception large des liens familiaux. Elle représente désormais une réalité affective qui ne se borne pas aux relations parents – enfants mais qui doit, au contraire, être élargie aux rapports sentimentaux ascendants – descendants et aux relations affectives ne coïncidant pas avec le sang et avec la reproduction 83. Ainsi, la seule existence du lien affectif suffit à faire naître une famille au sens de l’article 39 de la Constitution. Sous cet angle, le juge constitutionnel soulignait déjà la liberté d’organisation dont dispose le législateur afin de ne pas ignorer l’existence des unions de fait 84. De ce seul point de vue, il était possible de soutenir que le Tribunal ne se laisserait pas happer par la « bataille d’experts » autour de la question de l’éducation des enfants par des couples homosexuels, dont on sait qu’elle n’a toujours pas trouvé de réponse scientifique incontestable 85. Cela s’est révélé d’autant plus vrai que l’octroi de la faculté d’adopter aux couples homosexuels se trouvait lié à l’ouverture du mariage.
B – La validation de l’assimilation des unions hétérosexuelles et homosexuelles
La position des requérants s’appuyait sur l’idée que les couples de même sexe ne pourraient, compte tenu de l’identité de sexe des deux parents, assurer un accueil et une éducation de la personne adoptée conforme à l’exigence de « protection intégrale des enfants » posée par l’article 39, alinéa 2, de la Constitution 86. Selon eux, la loi contestée « ferait prévaloir la légitimation ou l’homologation des relations homosexuelles sur l’intérêt du mineur (…) ainsi que sur l’adéquation des adoptants » 87. A ce propos, comme n’ont pas manqué de le rappeler les auteurs des trois opinions dissidentes formulées à la suite de l’arrêt 88, la jurisprudence constitutionnelle relative à la protection des mineurs, ou aux modalités de mise en œuvre de cette protection, était fort abondante, mais les développements qui sont consacrés à cette question dans l’arrêt sont assez réduits 89. Le juge Andrés Ollero Tassara relève ainsi, dans son opinion dissidente, qu’il est « surprenant que la question soit résolue de façon si expéditive » 90.
Rien de surprenant à cela en réalité car, comme le juge constitutionnel l’avait indiqué dès les premiers motifs de sa décision, le sort réservé à ce grief dépendait très largement de la solution retenue à propos du mariage. En effet, la loi entend assimiler en tous points mariage hétérosexuel et mariage homosexuel, de sorte que le nouvel article 175, alinéa 4, du code civil prévoit désormais que : « Personne ne peut être adopté par plus d’une personne, excepté lorsque l’adoption a lieu conjointement ou successivement par les deux conjoints. Le mariage célébré postérieurement à l’adoption permet à la personne mariée l’adoption des enfants de son conjoint. En cas de décès de l’adoptant, ou lorsque l’adoptant est privé de ses droits conformément à l’article 179, une nouvelle adoption de la personne adoptée est possible » 91. En l’absence désormais de différence de situation saisie par l’ordre juridique, difficile de justifier une différence de traitement entre ces unions.
Le Tribunal constitutionnel se contente alors de rappeler les principes régissant la procédure d’adoption et, en particulier, les modalités de prise en compte de l’intérêt de l’enfant adopté : cet intérêt est protégé dans chaque cas d’espèce par le biais du contrôle auquel se trouvent soumises les personnes qui souhaitent adopter, indépendamment de leur orientation sexuelle. Est implicitement posé que, que dès lors qu’un contrôle existe et qu’il est le même quel que soit le mariage en cause, il n’est pas possible de soutenir que l’intérêt de l’enfant est ignoré ou est moins pris en compte dans une hypothèse plutôt que dans l’autre, sauf à soutenir que ce contrôle devrait être différent selon l’orientation sexuelle des personnes adoptantes. Estimer que le contrôle en cause doit être différencié reviendrait à soutenir que lorsque le couple souhaitant adopter n’est pas hétérosexuel, il ne doit pas être autorisé à adopter ou qu’il doit être soumis à un contrôle renforcé. Sauf à vouloir mettre en place une discrimination, la jurisprudence constitutionnelle exige la démonstration d’une différence de situation que les requérants ne sont pas parvenus à établir. En outre, pour appuyer sa démonstration, comme à son habitude, le Tribunal cite de très larges extraits de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et plus particulièrement de l’arrêt Fretté du 26 février 2002 92. Bien que la Cour y ait jugé, à une faible majorité, que le refus des autorités françaises de l’adoption par des couples homosexuels n’était pas contraire aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, au-delà de la solution d’espèce, il avait été souligné que cette décision, notamment par sa rédaction, était susceptible d’annoncer une évolution en la matière 93. Le Tribunal constitutionnel espagnol, pour sa part, considère que le juge de Strasbourg n’a fait que reconnaître l’importante marge d’appréciation laissée aux Etats parties à la Convention en matière d’adoption, résultat d’une absence de consensus ; pour le reste, il ajoute que « l’Etat doit s’assurer que les personnes choisies pour adopter soient celles qui peuvent offrir, de tous les points de vue, les conditions d’accueil les plus favorables et, à ce sujet, il n’existe pas de certitude qui permette d’affirmer actuellement que ces conditions ne peuvent pas être fournies par un couple homosexuel » 94, c’est-à-dire pas de raison objective et raisonnable susceptible de justifier le refus du droit d’adopter à un couple homosexuel marié, qui se trouve donc dans la même situation qu’un couple hétérosexuel marié.
En réalité, le juge constitutionnel va même plus loin car il considère que le choix opéré par le législateur en 2005 a précisément pour objet de déférer à l’obligation née de l’article 39 de la Constitution : l’atteinte éventuelle à l’article 39, alinéa 2, ne pourrait résulter que d’une législation qui ne garantirait pas que la préservation de l’intérêt du mineur constitue l’objectif principal de la procédure d’adoption. Or, les dispositions du code civil, au contraire, prévoient que la décision juridictionnelle autorisant l’adoption devra toujours se fonder sur l’intérêt de l’enfant adopté et l’aptitude de l’adoptant ou des adoptants à exercer l’autorité parentale, « adéquation qui ne peut pas être en lien avec leur orientation sexuelle » 95. Cette solution est la conséquence du point de vue adopté à propos du mariage : à partir du moment où l’ouverture du mariage était jugée conforme à la Constitution, le nouveau droit qui y est attaché et qui répond à la volonté d’assimiler mariage hétérosexuel et mariage homosexuel, en l’absence d’incapacité scientifiquement établie à élever un enfant, ne peut qu’être validé. L’opinion dissidente du juge González Rivas ne s’y trompe pas, qui souligne clairement le lien entre ces deux questions : « l’adoption conjointe ne peut être mise à la disposition des membres d’un couple de même sexe, car la prévision constitutionnelle issue de l’article 32.1 protège le mariage dans sa structure essentielle entendu comme l’union entre deux personnes de sexe différent, ce qui produit des conséquences contraignantes pour l’ensemble du droit de la famille, notamment pour la filiation et les relations entre parents et enfants » 96.
Finalement, la brièveté du Tribunal ici était-elle peut-être recherchée : il nourrit la réflexion des observateurs sans qu’il ne s’engage dans des affirmations assimilables à l’expression d’opinions plutôt qu’à l’exposé de démonstrations rigoureuses, sans faire taire toute controverse. Regrettons alors que, au-delà de la validation de l’ensemble du dispositif, il n’ait pas su faire preuve de la même ascèse dans la formulation de l’ensemble de sa motivation. Pris entre le marteau d’un modèle de mariage qui ne pourrait être expressément modifié sans passer par une réforme de l’article 32 de la Constitution, et l’enclume de l’interdiction de tout traitement distinct des couples homosexuels stables qui ne serait pas justifié par de solides raisons, le Tribunal a tranché dans le sens de la conciliation. Confronté, une fois encore, à une évolution majeure de la société espagnole, le juge constitutionnel, alors même qu’il aurait parfaitement pu parvenir à la même solution en privilégiant une certaine économie de moyens, propre à assurer plus de solidité à son raisonnement, se laisse aller à quelques bavardages qui risquent, craignons-le, de continuer à nourrir une controverse à peine éteinte.
Pour citer cet article : H. Alcaraz, « La Constitution et le mariage gay en Espagne – A propos de l’arrêt STC 198/2012 du Tribunal constitutionnel », RDLF 2014, chron. n°01 www.revuedlf.com
Notes:
- En Espagne, l’utilisation de l’expression « matrimonio homosexual » n’a pas suscité d’opposition de principe, dans la mesure où la réforme promue par le gouvernement socialiste avait bien pour but clairement affiché d’ouvrir le mariage à une population déterminée ; aussi l’expression « mariage pour tous » n’est-elle pas usitée, à la différence de celle de mariage homosexuel ou celle de mariage gay, qui seront ici utilisées indifféremment. ↩
- A. Alfageme, « Obispos y altos cargos del PP arropan la manifestación contra las bodas gays », El País, 19 juin 2005. Les manifestations en Espagne ont été de moindre ampleur que celles qu’a connues la France puisque la plus importante, menée par le Forum espagnol de la famille (Foro Español de la Familia), a réuni le 18 juin 2005 à Madrid environ 180 000 personnes (un million et demi selon les organisateurs, 700 000 selon la Communauté autonome de Madrid, 166 000 selon le gouvernement), parmi lesquelles 19 évêques et une représentation du Partido Popular (PP – principal parti politique de l’opposition de l’époque, aujourd’hui au gouvernement). Ni le leader du PP, Mariano Rajoy (aujourd’hui président du gouvernement), ni le président de la Conférence épiscopale espagnole, archevêque de Bilbao, Ricardo Blázquez, n’y participèrent. ↩
- Récemment, l’ancien chef du gouvernement J. L. Rodríguez Zapatero, interrogé sur l’action du secrétaire général du Parti socialiste espagnol (PSOE – Partido socialista obrero español), Alfredo Pérez Rubalcaba, est revenu sur ce qu’il considère désormais comme un « acquis » de sa présidence de gouvernement : « Zapatero anima a apoyar y a escuchar los “impulsos” de Rubalcaba », El País, 1er juillet 2013. ↩
- C. E. Cué, « Gallardón reformará la ley del aborto pero no el matrimonio homosexual », El País, 16 avril 2013. ↩
- Loi 13/2005 du 1er juillet modifiant le code civil en matière de mariage, BOE n° 157 du 2 juillet 2005, p. 23632. ↩
- Arrêt du Tribunal constitutionnel espagnol (Sentencia del Tribunal Constitucional ; ci-après STC) 198/2012 du 6 novembre 2012, BOE (Boletín oficial del Estado) n° 286 du 28 novembre 2012. ↩
- Les parutions dans la presse ont été nombreuses qui ont salué la solution finalement retenue par le juge constitutionnel espagnol. Sans prétendre être exhaustif, on mentionnera : M. Peral, « Amplio respaldo del Tribunal constitucional al matrimonio homosexual », El Mundo, 7 novembre 2012 ; A. López Lozano y A. Arroyo Gil, « ¡ Por fin ! », El País, 7 novembre 2012 ; M. Altozano, « El matrimonio gay está aceptado por la sociedad y no afecta al derecho a casarse », El País, 15 novembre 2012. ↩
- José Luis Rodríguez Zapatero a été investi président du gouvernement une première fois le 16 mars 2004, après les élections générales du 14 mars ouvrant la VIIIème législature ; il l’a été une seconde fois, le 11 avril 2008, après les élections générales du 9 mars. Il a quitté la présidence le 8 février 2012, remplacé par Mariano Rajoy, leader du PP, à la suite des élections générales du 20 novembre 2011. ↩
- Ley orgánica 2/2010, de 3 de marzo, de salud sexual y reproductiva y de la interrupción voluntaria del embarazo. ↩
- En matière sociale, sous la présidence de J. L Rodríguez Zapatero, on citera également la loi portant promotion de l’autonomie personnelle et de soins à l’égard des personnes en situation de dépendance ou encore la loi pour l’égalité effective des hommes et des femmes. ↩
- D’autres dispositions sont modifiées mais exclusivement pour des raisons d’adaptation de vocabulaire. ↩
- L. M. Díez-Picazo, « En torno al matrimonio entre personas del mismo sexo », InDret, 2007, p. 8. ↩
- Consejo de Estado, Dictamen n° 2.628/2004 du 16 décembre 2004 relatif à l’avant-projet de loi modifiant le code civil en matière de mariage (le Conseil d’Etat espagnol est un organe consultatif du gouvernement espagnol et des présidents des Communautés autonomes, il ne dispose pas de compétences contentieuses) ; Consejo general del Poder judicial (équivalent du Conseil supérieur de la magistrature français), Estudio du 26 janvier 2005. ↩
- Contrairement à ce qui a parfois été relaté par la presse française ; cf. F. Tanneau, « Espagne : le Tribunal constitutionnel valide le mariage homosexuel », Le Monde, 6 novembre 2012. ↩
- Recurso de inconstitucionalidad num. 6864-2005 formé par soixante-douze députés du groupe parlementaire du Partido Popular (PP) au Congrès des députés, conformément à l’article 162 de la Constitution et à l’article 32 de la loi organique relative au Tribunal constitutionnel (LOTC). Ce recours a été admis par le Tribunal par une providencia, rendue le 25 octobre 2005, conformément à l’article 34 de la LOTC. ↩
- Par un auto, c’est-à-dire une ordonnance, 140/2012 du 4 juillet 2012, l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel a fait droit à la demande d’abstention formulée par don Francisco José Hernando Santiago qui, avant d’avoir été nommé magistrat au sein du Tribunal constitutionnel, avait siégé au sein du Conseil général du pouvoir judiciaire et avait, à cette occasion, fait connaître son hostilité à ce qui n’était encore que le projet de loi, devenu ensuite la loi 13/2005 (Consejo general del Poder judicial, Estudio du 26 janvier 2005, préc.). ↩
- « La Constitution garantit (…) la responsabilité des pouvoirs publics et l’interdiction de toute action arbitraire de leur part ». ↩
- « Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux traités et accords internationaux portant sur les mêmes matières ratifiés par l’Espagne ». ↩
- « Les Espagnols sont égaux devant la loi; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale ». ↩
- « Les droits et les libertés reconnus au chapitre deux du présent titre sont contraignants pour tous les pouvoirs publics. Seule une loi qui, dans tous les cas, devra respecter leur contenu essentiel, pourra réglementer l’exercice de ces droits et de ces libertés (…) ». ↩
- Cet article définit la procédure de révision de la Constitution. ↩
- Les fondements juridiques (FJ), désignés « fundamentos jurídicos » et occupant la seconde partie de l’arrêt, exposent le raisonnement développé par le juge pour trancher l’affaire et correspondent aux considérants des décisions des juridictions constitutionnelle et administratives françaises. ↩
- Ecartés d’emblée de son raisonnement par le juge constitutionnel, on se contentera de mentionner ces arguments. Au nombre des moyens dépourvus d’autonomie figurent les atteintes supposées aux articles 9, alinéa 3, 10, alinéa 2, 53, alinéa 1, et 167 de la Constitution : leur éventuelle violation est, en réalité, directement liée à celle de l’article 32 et le Tribunal leur fait donc un sort en quelques lignes. Il écarte ensuite les griefs, certes autonomes, mais dont il considère qu’ils sont, en l’espèce, inopérants. C’est le cas, d’abord, du principe d’égalité consacré par l’article 14 de la Constitution. De la même façon, la référence à l’article 9 de la Constitution se contente de renvoyer aux arguments développés à propos de la méconnaissance des articles 14, 32 et 167 de la Constitution ; les auteurs du recours n’établissent pas davantage que la loi adoptée est le résultat d’une « discrimination normative » ou apparaît « absolument dépourvue de fondement rationnel » (FJ 2 a et b). ↩
- Les allégations en cause soit ne constituent pas des « causes d’inconstitutionnalité autonomes », soit apparaissent manifestement non fondées : FJ 2. ↩
- 22 442 mariages entre personnes de même sexe selon les chiffres de 2011 publiés par l’Institut national de statistiques espagnol (INE) (http://www.ine.es). Ce chiffre a été abondamment cité par la presse ; par exemple, J. García Pedraz, « 22 442 matrimonios homosexuales, pendientes hoy del Constitucional », El País, 6 novembre 2012. ↩
- On rappellera, par exemple, que le recours d’inconstitutionnalité formé le 27 février 1989 contre la loi relative aux techniques de procréation médicalement assistée (Ley 35/1988, del 22 de noviembre, sobre técnicas de reproducción asistida) a été jugé par un arrêt 116/1999 du 17 juin 1999, tandis que le recours contre le nouveau Statut d’autonomie de la Catalogne, présenté le 31 juillet 2006, a été tranché par l’arrêt 31/2010 du 28 juin 2010. ↩
- P. Cruz Villalón, « L’état du Tribunal constitutionnel », in P. Bon (sous la dir.), Trente ans d’application de la Constitution espagnole, Dalloz, 2009, p. 156. ↩
- L’examen du recours d’inconstitutionnalité formé contre le nouveau Statut d’autonomie de la Catalogne, et l’arrêt 31/2010, avaient suscité un nombre considérable de critiques, provoquant même l’organisation de manifestations ; cf. H. Alcaraz et O. Lecucq, « L’Etat des autonomies après l’arrêt du Tribunal constitutionnel espagnol sur le nouveau Statut de la Catalogne », RFDA, 2011, n° 2, p. 403. ↩
- Selon les enquêtes d’opinion, après sept années de mise en œuvre, le mariage des couples de même sexe ne suscite plus les réserves et les clivages qui avaient pu apparaître à l’époque de son adoption. Le nombre des mariages de couples de même sexe est modeste, ces derniers représentant entre 1,60 et 2,10 % de l’ensemble des unions célébrées chaque année en Espagne ; ces chiffres sont tirés du rapport pour 2011 de l’Instituto nacional de estadísticas (consultable à l’adresse : http://www.ine.es). ↩
- A ce propos, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a fait savoir, par la voix de son ministre de la justice, dès le prononcé de l’arrêt, qu’il n’avait pas l’intention d’abroger la loi : « Gallardón : “No modificaré la ley y la dejaré exactamente como está” », El País, 7 novembre 2012. ↩
- Par exemple, F. J. Matia Portilla, « Matrimonio entre personas del mismo sexo y Tribunal constitucional : un ensayo sobre la constitucionalidad del primero y los límites en la actuación del segundo », Revista general de derecho constitucional, 2012, 5, p. 5. En français, A. Barrero Ortega, « Le débat sur la législation du mariage homosexuel en Espagne », RFDC, 2007, n° 70, p. 249. ↩
- H. Alcaraz, « La liberté fondamentale du mariage en Espagne », in J.-J. Lemouland et O. Lecucq (sous la dir.), La liberté fondamentale du mariage, Aix-Marseille, 2009, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p.63. ↩
- R. Bercovitz, « La competencia para legislar sobre parejas de hecho », Derecho privado y Constitución, 2003, n° 17, p. 61 et s., spéc. p. 67. ↩
- « 1. El hombre y la mujer tienen derecho a contraer matrimonio con plena igualdad jurídica. 2. La ley regulará las formas de matrimonio, la edad y capacidad para contraerlo, los derechos y deberes de los cónyuges, las causas de separación y disolución y sus efectos ». ↩
- Consejo de Estado, Dictamen n° 2.628/2004 du 16 décembre 2004, préc. ; Consejo general del Poder judicial, Estudio du 26 janvier 2005, préc. ↩
- J.-J. Lemouland et O. Lecucq (sous la dir.), op. cit., spéc. p. 7 et s. ↩
- A titre d’exemple, synthétisant récemment les prises de position en présence, et se prononçant en faveur de la conformité de la loi à la Constitution : J. Matia Portilla, op. cit., p. 1. Pour une prise de position plus réservée : F. Rey Martínez, « Homosexualidad y Constitución », Revista española de derecho constitucional, 2005, n° 73, p. 111. ↩
- Arrêt STC 184/1990 du 15 novembre 1990, FJ 3, rappelé dans l’arrêt STC 198/2012, préc., FJ 6. ↩
- Y. Gómez, Familia y matrimonio en la Constitución española de 1978, Madrid, 1990, Publicaciones del Congreso de los Diputados, spéc. p. 180. ↩
- Le droit espagnol utilise l’expression « derecho a contraer matrimonio », visé par l’alinéa 1 de l’article 32 de la Constitution. ↩
- J. De Esteban, P. J. González Trevijano y Á. Sánchez Navarro, Tratado de derecho constitucional, Madrid, Universidad Complutense, 2004, Tomo II, p. 146. ↩
- D. Capitant, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, Paris, LGDJ, 2001, p. 175. ↩
- Les limites de cette classification, qui distingue effet défensif subjectif et effets objectifs des droits fondamentaux, ont été mises en évidence par D. Capitant, op. cit., spéc. p. 189 et s. ; toutefois, plutôt que de lui préférer la distinction entre fonction négative et fonctions positives, le Tribunal constitutionnel continue à l’utiliser, ce qui explique que l’on y fasse référence. Sur cette question, également, G. Peces-Barba Martínez, Curso de derechos fundamentales – Teoría general, Madrid, Coedición de la Universidad Carlos III de Madrid y Boletín Oficial del Estado, 1995, spéc. p. 413 et s. ↩
- STC 53/1985 du 11 avril, FJ 4 ; F. J. Bastida Freijedo, I. Villaverde Menéndez, P. Requejo Rodríguez, M. Aláez Corral y I. Fernández Sarasola, Teoría general de los derechos fundamentales en la Constitución española de 1978, Madrid, Tecnos, 2004, spéc. p. 45 et s. ↩
- J. F. J. Bastida Freijedo, I. Villaverde Menéndez, P. Requejo Rodríguez, M. Aláez Corral y I. Fernández Sarasola, op. cit., p. 116. ↩
- Arrêt STC 32/1981 du 28 juillet, FJ 3. ↩
- Arrêt STC 16/2003 du 30 janvier, FJ 8. ↩
- FJ 8. ↩
- Le Tribunal utilise le terme « presupuesto », c’est-à-dire littéralement « présupposé ». ↩
- FJ 9. ↩
- L’arrêt en mentionne trois : l’égalité des conjoints, la libre volonté de contracter mariage avec la personne de son choix et la manifestation de cette volonté. ↩
- « (…) no cabe realizar reproche de inconstitucionalidad a la opción escogida por el legislador (…), dentro del margen de apreciación que la Constitución le reconoce, porque es una opción no excluida por el constituyente (…) ». ↩
- FJ 11. ↩
- FJ 11. ↩
- Ce sont les fondements juridiques 9, 10 et 11. Les fondements juridiques 6, 7 et 8, quant eux, se contentent, en réalité, de rappeler, une fois de plus, la question posée au juge constitutionnel (FJ 6), la notion de garantie institutionnelle (FJ 7), et son application au cas particulier du mariage (FJ 8). ↩
- FJ 9. ↩
- C’est, d’ailleurs, la position prise par le législateur dans le préambule de la loi 13/2005 : « (…) la Constitution, en confiant au législateur la configuration normative du mariage, n’exclut aucunement un encadrement concevant les relations de couple de manière différente de celle qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, un encadrement qui donnerait leur place aux nouvelles formes de relations affectives ». ↩
- En ce sens, F. Rey Martínez, op. cit., p.150 et s. ; L. M. Díez-Picazo, Sistema de derechos fundamentales, Pamplona, Thomson Civitas, 3a ed., 2008, p. 60 et s. ↩
- Arrêt STC 341/1993 du 18 novembre, FJ 10. ↩
- FJ 11. ↩
- Sur cette question, H. Alcaraz, « Le mariage entre personnes de même sexe dans la jurisprudence constitutionnelle étrangère », RFDA, 2013, n° 5, p. 986 et s. ↩
- FJ 9. ↩
- C’est nous qui soulignons ; le terme figurant dans l’arrêt est « originalista », ce qui se traduirait par le barbarisme « originaliste ». ↩
- FJ 9, § 1. Et le juge constitutionnel de rajouter que la prise en compte de tous ces éléments est exigée par le texte constitutionnel lui-même à travers son article 10, alinéa 2, de la Constitution qui dispose que « Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux traités et accords internationaux portant sur les mêmes matières ratifiés par l’Espagne ». ↩
- D. Capitant, op. cit., p. 225. ↩
- Un telle métaphore ne peut manquer d’être rapprochée de la référence faite un temps par la Cour suprême américaine aux droits découlant des émanations du Bill of Rights, notamment dans l’arrêt Griswold v. Connecticut de 1965 ; cf. E. Zoller, Grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Paris, PUF, 2000, p. 679. ↩
- Aussi, certains commentateurs n’ont-ils pas manqué de souligner que l’on ne pouvait soutenir « que la réforme législative a défiguré quelque chose qu’elle a laissé absolument intact » : cf. R. Naranjo de la Cruz, « Matrimonio homosexual y categorías jurídicas », Revista general de derecho constitucional, 2013, n° 17 (octobre), p. 6. ↩
- Opinion concurrente séparée formulée par le magistrat Manuel Aragón Reyes, § I in fine : « si la conception d’une institution n’est plus unanime, mais plurielle, c’est-à-dire si il s’agit, en termes constitutionnels, d’une question débattue, nous devons appliquer la maxime in dubio pro legislatoris ». ↩
- Ibid. ↩
- Opinion concurrente séparée formulée par le magistrat Manuel Aragón Reyes, § II. ↩
- Arrêt STC 47/1993 du 8 février. ↩
- Ordonnance ATC 222/1994 du 11 juillet. ↩
- P. De Pablo Contreras, « La Constitución y la Ley 13/2005 de 1 de julio, de reforma del Código civil en materia de derecho a contraer matrimonio », in Constitución, derecho al matrimonio y uniones entre personas del mismo sexo, Madrid, Documentos del Instituto de Sciencias para la familia, Universidad de Navarra, 2007, p. 89. ↩
- Ordonnance ATC 222/1994, préc. ; cette ordonnance avait été rendue à propos du refus de servir une pension de réversion au compagnon homosexuel survivant. ↩
- Arrêt STC 184 1990 du 15 novembre. ↩
- Ordonnance ATC 222/1994, préc., FJ 2. ↩
- Selon F. Rey Martínez, le « panorama change complètement durant les dernières années de la décennie 1990 à partir de l’évolution du droit comparé, particulièrement du droit européen » : op. cit., p. 116. ↩
- Arrêt STC 198/2012, FJ 10 in fine à propos de l’ordonnance ATC 222/1994 préc. ↩
- La première loi en la matière est la loi catalane 10/1998 du 15 juillet ; pour un exposé détaillé de toutes les lois en vigueur : F. Rey Martínez, op. cit., p. 116 et s. ; également B. Rodríguez Ruiz, « Matrimonio, género y familia en la Constitución española : trascendiendo la familia nuclear », Revista española de derecho constitucional, 2011, n° 91, p. 77 et s. ↩
- La loi forale de Navarre, pour l’égalité juridique des couples stables, accorde, depuis 2000, le droit d’adopter aux couples de même sexe. Elle suggère, dans l’exposé de ses motifs, que la Constitution espagnole impose une conception large de la famille, de sorte que la non extension des droits attachés au mariage hétérosexuel aux unions homosexuelles stables constituerait une discrimination constitutionnellement inacceptable : Ley Foral de Navarra 6/2000 de 3 de julio, para la igualdad jurídica de las parejas estables. ↩
- Le Tribunal constitutionnel est saisi depuis 2000 d’un recours d’inconstitutionnalité présenté par des députés du Partido popular contre la loi forale de Navarre du 3 juillet 2000 (recours n° 5297/2000). A ce jour, il n’a toujours pas rendu sa décision. ↩
- Conformément aux articles 163 de la Constitution et 35 de la LOTC : ordonnances ATC 505/2005 et ATC 508/2005 du 13 décembre. Le Conseil général du pouvoir judiciaire, pour sa part, avait, dans un Acuerdo de son assemblée plénière, immédiatement rappelé à l’ordre ces juges en soulignant qu’ils ne pouvaient se soustraire à l’exercice de fonctions légalement établies, confirmant ainsi leur soumission à la loi en vigueur (art. 117, al. 1, de la Constitution) : Acuerdo del Pleno de 22 de noviembre de 2006, núm. 2. ↩
- Dès son arrêt STC 45/1989 du 20 février 1989, le juge constitutionnel espagnol notait que « quel que soit, en effet, le concept constitutionnel adéquat de famille, il ne peut être discuté qu’un tel concept inclut sans doute la famille qui naît du mariage (…) » (FJ 4). Par la suite, c’est l’arrêt STC 222/1992, résolvant une question d’inconstitutionnalité portant sur l’article 58.1 de la loi sur les loyers urbains, qui marque le point de départ d’une évolution remarquable puisqu’il relève que « dans le concept de “famille” entre, sans doute, l’hypothèse du mariage sans descendance ou sans autres parents à charge, conformément au sens d’autres dispositions constitutionnelles, à l’orientation de la législation post-constitutionnelle, à la propre jurisprudence de ce Tribunal (…) et, en définitive, à l’acception normalisée et enracinée dans notre culture, du terme “famille”, concept dans lequel entre, par conséquent, également la relation matrimoniale d’un homme et d’une femme sans descendance (…) ». Voir également, les arrêts STC 74/1997 et STC 116/1999. ↩
- Cf., notamment, arrêt STC 184/1990, FJ 3 ; on pourra également renvoyer aux arrêts STC 29/1991, STC 31/1991, STC 34/1991 et STC 50/1991. ↩
- Pour un rappel de ces éléments, cf. la bibliographie abondante citée in B. Rodríguez Ruiz, op. cit., p. 78. Une décision d’un juge aux affaires familiales de Pampelune avait fait grand bruit en 2004 : faisant application de la loi de Navarre de juillet 2000, il avait accordé l’adoption de deux filles mineures par la compagne de leur mère lesbienne, jugeant qu’en l’espèce l’intérêt supérieur des enfants se trouvait garanti par l’adoptante, dans la mesure où elle était la compagne de la mère biologique depuis sept ans et que c’est ensemble qu’elles avaient eu recours à la reproduction médicalement assistée pour avoir ces enfants, après accord du Centre de planning familial : Auto del Juzgado de Familia de Pamplona de 22 de enero de 2004. ↩
- Article 39 : « 1. Les pouvoirs publics assurent la protection sociale, économique et juridique de la famille. 2. Les pouvoirs publics assurent également la protection intégrale des enfants, qui sont égaux devant la loi indépendamment de leur filiation, et celle de la mère, quel que soit son état civil. La loi rendra possible la recherche de la paternité. (…) ». ↩
- FJ 12. ↩
- Opinions séparées dissidentes formulées par les magistrats Juan José González Rivas, Andrés Ollero Tassara et Ramón Rodríguez Arribas. ↩
- A titre de comparaison, on observera qu’ils occupent moins de 4 pages alors que ce sont un peu plus de 17 pages qui sont consacrées à l’examen de la conformité du nouvel article 44 du code civil à l’article 32 de la Constitution. ↩
- Opinion séparée dissidente du magistrat Andrés Ollero Tassara (§ 8). ↩
- L’article 179 du code civil espagnol traite des conséquences attachées à la perte de l’autorité parentale à l’égard de l’adopté. ↩
- Cour européenne des droits de l’homme, 26 février 2002, Fretté c. France, req. n° 3651597. ↩
- I. Poirot-Mazères, « De la gay pride … au Palais-Royal », AJDA, 2002, p. 401. ↩
- FJ 12. ↩
- FJ 12, in fine. ↩
- Opinion séparée dissidente formulée par le magistrat Juan José González Rivas (§ 5). Et les opinions dissidentes formulées par deux autres magistrats retiennent la même analyse quant au lien logique unissant la question du mariage et celle de l’adoption ; Andrés Ollero Tassara relève ainsi que « Le questionnement quant à la constitutionnalité du mariage homosexuel (…) conditionne logiquement l’admission d’une possible adoption des mineurs dans le cadre de celui-ci » (§ 8), tandis que Ramón Rodríguez Arribas soutient que « la relation affective et sexuelle d’un couple de même sexe constitue une “vie privée” mais pas une “vie familiale” ». Cf. opinion séparée dissidente formulée par le magistrat Andrés Ollero Tassara et opinion séparée dissidente formulée par le magistrat. ↩