Protéger la Nation par l’affirmation de la « valeur de la personne humaine » (Propositions d’amendements au PLC de protection de la Nation)
Le projet de loi constitutionnelle n° 3381 de protection de la Nation, déposé le 23 décembre 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale, privilégie une approche coercitive de celle-ci. Alors que débute l’examen de ce texte en séance, la Clinique de légistique 1 soumet cinq propositions d’amendements 2 suggérant une approche humaniste de cette sauvegarde, alternative ou complémentaire, fondée sur l’affirmation de la « valeur de la personne humaine ».
Olivier Pluen est Maître de conférences en Droit public à l’Université des Antilles et Responsable de la Clinique de légistique – Centre VIP (UVSQ) et Associé au CRPLC (UA)
À l’heure où le Gouvernement engage ce qui pourrait très prochainement devenir la vingt-cinquième révision de la Constitution de la Ve République, la question semble posée du rôle attendu de la recherche universitaire. Cette interrogation est d’autant plus prégnante, s’agissant d’une réforme constitutionnelle qui touche si étroitement aux droits et libertés fondamentaux, et qui restera peut-être celle qui – sous l’effet accentué des médias, d’Internet et des réseaux sociaux – aura fait l’objet de la plus importante polémique depuis l’adoption de la loi « constitutionnelle » sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962. S’agit-il alors pour l’universitaire de se cantonner aux néanmoins très nécessaires fonctions de commentaire du texte présenté, d’éclairage à destination de la population, et de mise en garde quant aux risques potentiels d’une telle réforme ?
Développer la dimension inexplorée de la recherche universitaire : la participation à l’écriture de la loi
Non, sans doute, et le souvenir des « jurisconsultes » qui ont marqué les siècles depuis la République romaine jusqu’à la Seconde République est encore suffisamment présent à nos esprits pour le rappeler. Une permanence de cette approche subsiste d’ailleurs à deux niveaux. Spontanément d’abord, des universitaires ne manquent jamais de faire œuvre de proposition dans leurs travaux doctrinaux, voire, mus par une démarche collective d’ouverture pluridisciplinaire, dans le cadre de groupes de travail thématiques ou sous la forme plus moderne des Think Tank. À l’invitation des pouvoirs publics ensuite, certains des plus respectés représentants de la doctrine sont ponctuellement sollicités pour être auditionnés au sein des assemblées parlementaires, mais également pour siéger dans – et parfois présider – tel comité ou commission chargé de réfléchir à une réforme législative ou constitutionnelle. De manière plus pérenne, d’autres sont appelés à intégrer telle autorité ou institution intervenant dans le processus de production législative ou de contrôle des lois. Mais en-dehors du cas somme toute assez exceptionnel des universitaires portés à un mandat parlementaire lors d’élections politiques, et éventuellement nommés par la suite à une fonction ministérielle – comme c’est le cas du nouveau garde des Sceaux –, les enseignants-chercheurs en droit ne pourraient-ils pas participer en cette seule qualité à l’écriture même de la loi, c’est-à-dire à la formalisation de leurs propositions sous forme de projets/propositions de loi ou d’amendements ? Rien n’y fait a priori obstacle.
D’ailleurs, peut-être le Gouvernement – principal initiateur de la loi – et les députés et sénateurs – tributaires de la conjugaison du système majoritaire et du parlementarisme rationnalisé, qui les conduit le plus souvent à se reporter sur l’action locale – trouveraient-ils dans ce travail, un éclairage, des éléments de comparaison, un vivier, voire, pour les seconds, un vecteur d’émulation en matière législative. Peut-être les universitaires en droit trouveraient-ils eux aussi, tandis qu’existent des questionnements sur la signification de la recherche juridique, un chaînon supplémentaire de leur légitimité, dans cet ouvrage venu offrir un prolongement concret aux traditionnelles fonctions de recherche, mais aussi d’enseignement. L’universitaire ne se limite pas à chercher et à enseigner. Il cherche, réfléchit et enseigne à partir de cette recherche, propose et instruit sur la base de cette réflexion, met en forme ses propositions et par ce biais forme des futurs juristes sans avoir – lui – à céder à un temps politique qui n’est pas le sien. Le travail fourni par la Clinique de légistique de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et de l’Université des Antilles, sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, s’inscrit modestement dans cette logique. Ce travail s’est concrètement traduit par la rédaction de cinq propositions d’amendements à laquelle ont contribué plusieurs étudiants de Master.
Fruit d’un travail de la « communauté universitaire », ces propositions d’amendements ne sont pas de nature politique, au sens partisan du terme. Elles n’ont pas vocation à appuyer majorité ou opposition, ni à révéler une préférence pour l’une ou l’autre. S’il est vrai que l’actuel projet de loi constitutionnelle est réputé dépasser les clivages, les suggestions faites ici cherchent justement à puiser au mieux leur justification dans le droit et l’histoire, au-delà de la dimension nécessairement technique et littéraire qu’implique leur traduction sous forme d’amendements. Ceci explique la présence d’« exposés sommaires » qui, oubliant un peu la réglementaire concision parlementaire, se rapprochent plus d’un véritable « exposé des motifs ». La particularité de ces approches scientifiques est qu’elles aboutissent parfois à l’heureux constat, en termes d’objectivité, selon lequel les propositions formulées peuvent ne pas être nécessairement en accord avec les positions personnelles. Cette constatation, qui participe de la formation juridique des étudiants, se révèle encore plus juste lorsque l’on passe du stade de la réflexion théorique à celle de l’écriture pratique.
Ne pas limiter la protection de la Nation à une approche coercitive : la prise en compte de sa dimension humaniste
Beaucoup de choses ont été dites ces deux derniers mois, y compris par la doctrine universitaire, sur les aspects juridiques et historiques des articles 1 et 2 du projet de loi constitutionnelle. Il ne s’agit pas d’y revenir. Ces deux articles ont en commun de chercher à offrir une réponse aux attaques terroristes auxquelles a été confrontée la France au cours de l’année 2015, au moyen de la constitutionnalisation de mesures coercitives portant sur l’état d’urgence, d’une part, et sur la déchéance de nationalité, d’autre part. À l’occasion de l’examen du texte par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, les 27 et 28 janvier 2016, soixante-douze amendements gouvernementaux et parlementaires ont été déposés. Une majorité d’entre eux ont été défendus et quelques-uns adoptés. L’essentiel de ces amendements tendait, tantôt à renforcer, tantôt à supprimer, tantôt encore à modifier à la marge les deux articles. Trois séries d’exceptions doivent toutefois être mentionnées. La première recouvre des amendements sans rapport avec l’objet du projet, comme celui destiné à consacrer dans un nouvel article 72-5 le statut particulier de la Corse (n° CL48 des députés Giacobbi et Schwartzenberg – rejeté). La seconde regroupe des amendements qui, sans entretenir un lien direct avec l’objet du projet, visent néanmoins à limiter le recours aux régimes de crise et à la révision constitutionnelle, dans une période analogue à celle ayant conduit à la récente mise en œuvre de l’état d’urgence et à la préparation du présent projet de révision. Il en va ainsi de l’amendement prévoyant un contrôle du Conseil constitutionnel sur les projets de révision constitutionnelle adoptés en termes identiques par les deux assemblées (n° CL57 de Mme Duflot – rejeté). La dernière a trait à des amendements également en rapport avec le contexte actuel, mais qui, susceptibles d’une mauvaise interprétation, seraient moins de nature à protéger la Nation qu’à renforcer sa vulnérabilité. Tel est le cas de celui destiné à compléter l’article 1er de la Constitution par une phrase précisant que les racines de la République sont chrétiennes (n° CL 60 de M. Poisson – non soutenu).
La protection de la Nation au moyen de mesures coercitives ayant été la priorité, une voie est restée inexplorée dans cette première phase du travail législatif. La presse s’est pourtant faite l’écho de suggestions en faveur d’une autre approche, dont certaines déjà formalisées. Ainsi, dans un article paru dans le journal Le Monde, le professeur Paul Cassia de l’Université Paris I proposait d’inscrire à l’article 1er de la Constitution deux phrases ainsi rédigées : « les personnes nées françaises et celles ayant obtenu la qualité de français par acquisition sont dans la même situation au regard du droit de la nationalité ; nul ne peut être déchu de sa nationalité française » (« Déchéance de Nationalité pour tout le monde ? Non, pour personne », 5 janvier 2016). De même, dans une tribune publiée sur le site collaboratif The Conversation, plusieurs participants au colloque organisé à l’Université Paris II en 2013, sur le thème du « Cosmopolisme juridique », ont suggéré que « la France de 2016 » reprenne à son compte le décret de l’Assemblée nationale législative du 26 août 1792 (avec pour 1er signataire le professeur O. de Frouville, « Nationalité : élever plutôt que déchoir », 24 janvier 2016). En outre, le quotidien Le Figaro faisait récemment état du souhait exprimé par le Parti Socialiste de faire supprimer le mot « race » de la Constitution à l’occasion de cette révision (A. Berdah, « Révision constitutionnelle : le PS va demander la suppression du mot « race » », 21 janvier 2016).
L’intérêt de ces différentes suggestions est que, au-delà de leurs motifs précis, elles se rejoignent autour d’une même vision de la France, dont René Cassin fut un des défenseurs lors de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. L’homme qui fut pendant seize ans le vice-président du Conseil d’État résuma parfaitement cette vision lorsqu’il reçut le prix Nobel de la paix en 1968 pour sa contribution d’alors, ponctuant son discours (« La Charte des droits de l’homme », Conference Nobel, Oslo, 11 décembre 1968) de deux vers issus du poème d’un autre prix Nobel – celui de littérature en 1901 –, Sully Prudhomme :
« J’adore mon pays d’un cœur qui déborde,
Et plus je suis Français, plus je me sens humain » 3
Or cette dimension humaine, que d’aucuns analyseront peut-être comme une forme d’angélisme, trouve toute sa pertinence dans le contexte actuel. Que révèle, si ce n’est la négation même de l’Humanité, le fait pour une organisation terroriste, prétendant au titre d’« État », d’« employer » des « bombes humaines » pour tuer des populations civiles, ou d’institutionnaliser et de réglementer l’esclavage ou des formes analogues vis-à-vis de certaines catégories d’individus 4, au nom de distinctions fondées sur des motifs tels que l’origine, le sexe ou la religion ?
La Déclaration universelle de 1948 avait, pour rappel, été écrite dans le contexte de l’après Seconde-Guerre mondiale, comme d’ailleurs l’alinéa 1er Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 adoptée deux ans plus tôt, dont le Conseil constitutionnel a dégagé cinq décennies plus tard le « principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation » (décisions n° 94-343 et 344 DC du 27 juillet 1994, « Lois bioéthiques »). Il semble ressortir de là que, si la protection de la Nation doit certes pouvoir consister en le renforcement de mesures coercitives telles que – effectivement – l’état d’urgence, cela ne signifie pas qu’elle ne puisse pas non plus passer par l’affirmation, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, de valeurs humanistes qui, à l’instar de celles énoncées dans les deux textes précités, sont de nature à différencier la République des régimes ou organisations criminelles qu’elle combat. Et s’il est vrai qu’il est parfois nécessaire de prendre d’abord des mesures coercitives avant de pouvoir songer, ensuite, à consacrer des valeurs humaines, les révisions constitutionnelles ne relèvent malheureusement pas d’une science permettant de garantir avec exactitude que les premières seront suivies des secondes. L’histoire a d’ailleurs parfois montré le contraire. À l’heure où le mot « guerre » est si souvent employé dans le discours des gouvernants, il convient de rappeler qu’une noire et longue parenthèse de six ans a séparé la Constitution du 27 octobre 1946 de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940. Pourtant, beaucoup de ceux qui ont voté la seconde n’étaient pas moins empreints d’une haute idée des droits de l’homme, que les acteurs politiques de la pièce qui se joue aujourd’hui.
Retrouver et consacrer le principe des droits et libertés : l’affirmation de la valeur de la personne humaine
Or le cœur de cette vision humaniste et des suggestions relatées dans la presse parait trouver sa cohérence dans une réponse récemment apportée par l’historien Patrick Weil, à propos d’une des possibilités d’évolution – fortement décriée, mais finalement actée par un amendement gouvernemental en commission (n° CL74) – de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle. D’après lui : « En étendant la déchéance de nationalité des binationaux à tous les Français, on passerait d’une rupture avec l’un des principes fondamentaux de la République – tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans distinction d’origine, de race et de religion, c’est l’article 1 de la Constitution – à une rupture avec un des droits les plus fondamentaux de l’homme. En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme a proclamé de nombreux droits, mais le seul devenu effectivement universel est l’abolition de l’esclavage. Or, la conséquence de ne pas être esclave est d’être un sujet de droit. Et on ne l’est pas sans avoir une nationalité » (propos recueillis par A. Salles et T. Wieder, « Le principe d’égalité est un pilier de notre identité », Le Monde, 7 janvier 2016). Le rapprochement ici effectué entre l’esclavage et l’absence de nationalité – qu’il est possible d’étendre à l’utilisation du mot « race » dont la suppression a été évoquée – peut être mieux compris à l’aide d’une explication donnée par l’historien du droit Jean-François Niort, concernant la construction du concept de « personne humaine » à partir du Siècle des Lumières. Selon celui-ci, dès lors que l’on assiste dans l’histoire à « la consécration juridique de la confusion de l’homme et de la personne », « L’esclavage – mais aussi l’absence de nationalité et l’emploi du mot « race » – ne peut…qu’être hors du droit, relever du « non-droit », et devenir une condition proprement inhumaine, incompatible avec la « qualité d’homme », qui emporte celle de « sujet de droit », titulaire par nature de « droits subjectifs » » 5. Ainsi, dans l’acception moderne qui s’est heureusement imposée à compter du XVIIIe siècle, celui qui n’est pas reconnu comme « sujet de droit » se trouve nié dans ce qu’il est réellement : un Homme, un Être humain.
Or il est possible de se demander si cette « qualité d’Homme », que certains systèmes ou idéologies emploient à des fins d’exclusion, en opérant des distinctions entre l’« Homme libre » et l’« esclave », le « national » et l’« apatride », ou encore l’« Homme de race supérieure » et l’« Homme de race inférieure », se rapporte à la seule « dignité de la personne humaine ». N’est-elle pas également – ou n’est-elle pas au contraire d’abord – le critère d’appréciation de la notion très largement éludée de « valeur de la personne humaine » ? Cette dernière, absente en tant que telle du « bloc de constitutionnalité » actuel de la Ve République et de l’essentiel des instruments internationaux, est pourtant consacrée de manière autonome dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le cinquième considérant de ce texte rappelle en effet que les peuples des Nations Unies proclament de nouveau leur foi dans « la dignité et la valeur de la personne humaine ». Mais que vise exactement cette « valeur » et qu’est-ce qui la distingue de la « dignité » ? Si la dignité est intrinsèque à l’humanité, et si l’absence d’humanité est jugée contraire à la dignité, le respect de cette dernière intègre néanmoins l’idée d’une certaine gravité des atteintes à la personne humaine. Ainsi, tandis que le décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage qualifiait à juste titre ce phénomène d’« attentat contre la dignité humaine », d’autres situations privant certains individus ou catégories d’individus de leur qualité de sujets de droit furent maintenues sous la Seconde République, voire créées à cette occasion : l’incapacité juridique des femmes, la mort civile, la perte de citoyenneté en cas de comportements esclavagistes (art. 8 du décret du 27 avril 1848) et la peine de mort, sauf en matière politique (art. 5 de la Constitution du 4 novembre 1848). Bien qu’érigée en principe à valeur constitutionnelle un siècle et demi plus tard, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine conserve – toute proportion gardée, bien entendu – une certaine relativité. En effet, si les quatre principes énoncés dans les deux lois sur la « bioéthique » soumises au contrôle de l’article 61 de la Constitution en 1994 constituent des garanties légales d’exigences constitutionnelles, que le législateur ne saurait donc violer sans porter atteinte au principe dégagé par le Conseil constitutionnel, ce dernier « n’en érige pas pour autant tous (ceux-ci) en impératifs catégoriques » 6.
La « valeur » de la personne humaine paraît, pour sa part, induire quelque chose de supplémentaire. Si la dignité est intrinsèquement liée à l’Humanité, cette dernière « est elle-même une dignité », comme l’expliquait Emmanuel Kant (Fondement de la métaphysique des mœurs, Delagrave, 1952, p. 758). L’Humanité et l’Homme sont effectivement absolus et inconditionnels dans leur « valeur », puisqu’ils sont à la fois une fin en soi et irremplaçables (Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1996, p. 225). Mais cette idée de « valeur de la personne humaine », qui ne demande qu’à émerger de l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution de 1946, aux côtés de – et de manière complémentaire à – la « dignité » consacrée depuis 1994, suppose toutefois de trouver une traduction concrète dans le reste du « bloc de constitutionnalité ». Parmi les états ou conditions qui privent des individus ou catégories d’individus de la qualité de sujets de droit, trois se voient déjà très explicitement prohibés par des dispositions expresses du « bloc de constitutionnalité » : la mort civile, supprimée par la loi du 31 mai 1854, à laquelle s’oppose depuis 1971 l’article 1er de la Déclaration des droits de 1789 (« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ») ; l’incapacité juridique des femmes, supprimée par la loi du 18 février 1938 et par une kyrielle de lois postérieures, qu’exclut également depuis 1971 l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 (« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ») ; et la peine de mort, abolie par la loi du 9 octobre 1981, interdite depuis 2007 par l’article 66-1 de la Constitution de 1958 (« Nul ne peut être condamné à la peine de mort »).
Mais rien de similaire n’est prévu en tant que tel dans le « bloc de constitutionnalité », s’agissant de ce qu’il convient de qualifier de formes « modernes » d’esclavage, de la déchéance de nationalité et de l’emploi du mot « race ». Pour les premières, la loi du 5 août 2013, intervenue suite à deux condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme de 2005 et 2013, reste à parfaire 7. Pour la seconde, les abondants débats autour de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, l’absence de mention par le Conseil d’État dans son avis de l’article 23-7 du code pénal hérité de la loi 12 novembre 1938 et de l’encore plus surprenant article 23-8 du même code introduit par la loi du 22 juillet 1993 (avis n° 390866 du 11 décembre 2015), ainsi que l’apparence donnée par le Gouvernement d’un article 2 susceptible de concerner désormais tous les nationaux, au risque de pouvoir rendre apatrides certains Français ne disposant pas d’une autre nationalité (amendement n° CL74 – adopté), souligne l’importance d’un meilleur encadrement. La dernière reste toujours, à ce jour, tributaire du plus en plus hypothétique examen par le Sénat de la proposition de loi tendant à la suppression du mot « race » de notre législation, pourtant transmise à celui-ci le 16 mai 2013 pour une première lecture (« petite loi » n° 584). Ici est la raison des cinq amendements qui suivent. Ceux-ci cherchent à favoriser la pleine reconnaissance du principe oublié de la « valeur de la personne humaine », s’inscrivant ainsi dans le sillon tracé par le « citoyen français serviteur de la paix et du droit » précédemment cité qui, bien qu’ayant connu et plusieurs fois souffert directement des vicissitudes de la fin du XIXe et du XXe siècle, n’en insistait pas moins dans son discours de 1968 sur l’impérieuse nécessité de « protéger tout l’homme et protéger les droits de tous les hommes ».
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Proposition d’amendement n° 1
Protection de la Nation – (n° 3381)
AMENDEMENT N°
présenté par
M. …
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ARTICLE additionnel
Après l’article 1er, insérer l’article suivant
Après l’article 66-1 de la Constitution, il est inséré un article 66-2 ainsi rédigé :
« Art. 66-2. – Nul ne peut être réduit ou maintenu en esclavage, soumis à la traite, ni être placé dans le statut ou la condition qui résulte d’une des institutions ou pratiques analogues, sur le territoire de la République. Toute personne qui en est victime a le droit à la protection de la France.
Dans le respect du droit international et dans les conditions qu’elle prévoit, la loi pénale française est applicable aux crimes et délits mentionnés à l’alinéa précédent commis, même hors du territoire national, par un Français ou un étranger séjournant en France.
Le présent article inspire l’action européenne et internationale de la France. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Si la protection de la Nation peut consister en le renforcement des mesures coercitives, elle peut également passer par l’affirmation, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, de valeurs humanistes qui lui sont inhérentes ou qui devraient l’être du fait de son histoire.
Aussi, alors que l’ONU fait état de pratiques esclavagistes et de leur institutionnalisation par le mouvement terroriste responsable des attentats dont a souffert la France, cette révision constitutionnelle est l’occasion pour le Souverain de graver dans le marbre de la Constitution le « plus noble des principes fondamentaux de notre droit public » (V. Schœlcher, L’esclavage au Sénégal, 1880) : celui d’après lequel le sol de la France affranchit celui qui y vit et qui le touche.
Ce dernier, qui trouve son origine sous l’Ancien Régime – mais dont chacun sait que le contournement et la violation n’honorent par la France d’avant le milieu du XIXe siècle –, a été consacré dans le droit positif avec le décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage. L’article 8 de ce texte frappait d’ailleurs aussi initialement de la perte de la qualité de citoyen tout Français qui, même à l’étranger, avait contrevenu à l’interdiction de l’esclavage. Or, au-delà de la dimension symbolique de la constitutionnalisation d’un tel principe pour les victimes d’un passé qui ne peut plus être changé, celui-ci mériterait d’être consolidé juridiquement pour le présent et l’avenir. Si Victor Schœlcher dénonçait déjà en 1880 son application relative dans les « nouvelles » colonies, la France du XXIe siècle a elle-même été condamnée en 2005 et 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme, pour manquement aux obligations positives découlant de l’article 4 de la Convention du même nom ; ce à quoi a cherché à remédier la loi du 5 août 2013. Cependant, adopté selon la procédure accélérée prévue par la Constitution, ce texte qui définit et incrimine des formes d’asservissement qui continuent à prospérer de nos jours, y compris sur le territoire national, cache mal l’absence d’une politique claire et résolue du Gouvernement en matière de lutte contre ce qui est communément qualifié de formes « modernes » d’esclavage (réduction en esclavage, exploitation d’une personne réduite en esclavage, traite des êtres humains, servitude, travail forcé, conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne).
En effet, aucune disposition du « bloc de constitutionnalité » ne paraît aujourd’hui donner à la fois un fondement suffisamment certain à la condamnation par la République de ces atteintes, qui résultent parfois d’actions individuelles, et une impulsion décisive à une politique ferme en la matière, concernant y compris la nécessaire protection des victimes.
C’est pourquoi le présent amendement propose l’insertion d’un nouvel article 66-2 dans la Constitution, s’inspirant du schéma de la Constitution de la Seconde République qui prévoyait déjà, après son article 5 en vertu duquel : « La peine de mort est abolie en matière politique », un article 6 selon lequel : « L’esclavage ne peut exister sur aucune terre française ». Depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, la Constitution de la Ve République comprend d’ailleurs déjà un article 66-1 disposant : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
Le nouvel article 66-2 proposé comprend dès lors trois alinéas, adaptés aux exigences actuelles : le premier réaffirme dans une première phrase le principe de la franchise du sol français en l’étendant à la traite et aux institutions et pratiques analogues, puis dans une seconde la nécessité pour la France de protéger les victimes de ces atteintes ; le deuxième alinéa propose une alternative raisonnable à l’article 8 du décret du 27 avril 1848 précédemment évoqué, en permettent de déroger au profit de la France au principe de territorialité de la loi pénale pour les crimes et délits visés au premier alinéa ; et le troisième reprend le principe posé par le 10e et dernier article de la Charte de l’environnement de 2004, en prévoyant que le nouvel article inspire l’action européenne et internationale de la France.
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Proposition d’amendement n° 2
Protection de la Nation – (n° 3381)
AMENDEMENT N°
présenté par
M. …
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ARTICLE 2
Rédiger ainsi cet article :
1° Le Préambule de la Constitution est ainsi modifié :
Après le deuxième alinéa, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Fidèle à ses valeurs, la République peut accorder la nationalité française à ceux qui, quel que soit l’État où ils résident, se sont distingués par leur action en faveur de l’État de droit, de la lutte contre les crimes et délits concernés par les articles 53-2 et 66-2, de la reconnaissance des droits et libertés, du rejet des préjugés et discriminations, et du rapprochement entre les Hommes. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Si la protection de la Nation peut consister en le renforcement des mesures coercitives, elle peut également passer par l’affirmation, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, de valeurs humanistes qui lui sont inhérentes.
Au demeurant et pour faire un parallèle historique, le chancelier Michel de l’Hospital soulignait dans son discours d’ouverture des États Généraux d’Orléans, le 13 septembre 1560, que : « Les rois ont été élus premièrement pour faire justice, et ce n’est acte tant royal faire la guerre, que faire justice, car les tyrans et mauvais font la guerre autant que les rois, et bien souvent la font bien mieux que les bons ».
Aussi, si l’objectif des dispositions du présent projet de loi constitutionnelle en matière de déchéance de la nationalité française est de dissuader des nationaux de commettre des crimes constituant une atteinte grave à la vie de la Nation, il est loin d’être certain que celui-ci puisse être atteint. Parce que la France est un État de droit, le champ ratione personae de la déchéance suggérée par le projet est nécessairement limité – les personnes, mêmes nées françaises, ayant également une autre nationalité – et contestable aussi bien juridiquement, qu’en termes d’efficacité et d’opportunité. Le législateur n’a au demeurant pas attendu le Constituant pour prévoir des cas de déchéance plus attentatoires aux libertés, vis-à-vis des « binationaux », tel celui prévu à l’article 23-7 du code pénal, voire à l’égard de tous les Français, avec l’article 23-8 du même code. En voulant étendre les possibilités de déchéance, le Constituant de 2016 risque ainsi paradoxalement de rendre inconstitutionnelles ces dernières hypothèses tirées de la loi. En outre, quelle serait en pratique l’utilité de la mesure projetée, sachant que l’ennemi que combat aujourd’hui la France n’est pas un « État », ce qui exclut nécessairement que ceux qui le servent en détiennent la nationalité ?
C’est pourquoi le présent amendement, inspiré par une publication commune de plusieurs participants au colloque sur le « Cosmopolitisme juridique » organisé en 2013 à l’Université Paris II, vise à renverser la logique de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle. Son objet est précisément de consacrer dès le Préambule de la Constitution, tout en l’actualisant, le principe énoncé dans le décret du 26 août 1792. Par ce texte adopté un mois avant la proclamation de la Ire République, l’Assemblée nationale législative avait accordé la citoyenneté française à des personnes telles que Jeremy Bentham et Georges Washington, aux principaux motifs suivants :
D’une part, « les hommes qui, par leurs écrits et par leur courage, ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples, ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre ;
Et, d’autre part, « si cinq ans de domicile en France suffisent pour obtenir à un étranger le titre de citoyen français, ce titre est bien plus justement dû à ceux qui, quel que soit le sol qu’ils habitent, ont consacré leurs bras et leurs veilles à défendre la cause des peuples contre le despotisme des rois, à bannir les préjugés de la terre, et à reculer les bornes des connaissances humaines ».
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Proposition d’amendement n° 3
(alternative à la n° 2)
Protection de la Nation – (n° 3381)
AMENDEMENT N°
présenté par
M. …
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ARTICLE 2
Après l’article 66-2 de la Constitution, il est inséré un article 66-3 ainsi rédigé :
« Art. 66-3. – Nul ne peut être privé de sa nationalité française contre sa volonté.
Une personne condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ou concerné par les articles 53-2 et 66-2 ne peut être déchue, si elle n’a pas demandé et obtenu la nationalité française, ni commis l’acte incriminé, alors qu’elle était majeure, et, selon le cas, si elle risque d’être rendue apatride, ou, lorsqu’elle détient également la nationalité d’un autre État, si son accueil est refusé par celui-ci, si elle risque de subir des traitements inhumains et dégradants, ou si elle demande à être maintenue dans la communauté nationale pour un motif légitime. Comme tout autre Français condamné pour un même crime, elle est redevable à la société. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Si la protection de la Nation peut consister en le renforcement des mesures coercitives, elle peut également passer par l’affirmation, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, de valeurs humanistes qui lui sont inhérentes ou qui mériteraient de le devenir.
Au demeurant et pour faire un parallèle historique, le chancelier Michel de l’Hospital soulignait dans son discours d’ouverture des États Généraux d’Orléans, le 13 septembre 1560, que : « Les rois ont été élus premièrement pour faire justice, et ce n’est acte tant royal faire la guerre, que faire justice, car les tyrans et mauvais font la guerre autant que les rois, et bien souvent la font bien mieux que les bons ».
Aussi, si l’objectif des dispositions du présent projet de loi constitutionnelle en matière de déchéance de la nationalité française est de dissuader des nationaux de commettre des crimes constituant une atteinte grave à la vie de la Nation, il est loin d’être certain que celui-ci puisse être atteint. Parce que la France est un État de droit, le champ ratione personae de la déchéance suggérée par le projet est nécessairement limité – les personnes, mêmes nées françaises, ayant également une autre nationalité – et contestable aussi bien juridiquement, qu’en termes d’efficacité et d’opportunité. Le législateur n’a au demeurant pas attendu le Constituant pour prévoir des cas de déchéance plus attentatoires aux libertés, vis-à-vis des « binationaux », tel celui prévu à l’article 23-7 du code pénal, voire à l’égard de tous les Français, avec l’article 23-8 du même code. En voulant étendre les possibilités de déchéance, le Constituant de 2016 risque ainsi paradoxalement de rendre inconstitutionnelles ces dernières hypothèses tirées de la loi. En outre, quelle serait en pratique l’utilité de la mesure projetée, sachant que l’ennemi que combat aujourd’hui la France n’est pas un « État », ce qui exclut nécessairement que ceux qui le servent en détiennent la nationalité ?
C’est pourquoi l’objet du présent amendement est de renverser la logique de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, en prenant d’abord soin d’affirmer dans un nouvel article 66-3 de la Constitution, que : « Nul ne peut être privé de sa nationalité française contre sa volonté ». Ce premier alinéa est alors suivi d’un second qui, s’il admet par exception la possibilité de déchoir une personne devenue française et ayant commis un crime constitutif d’une atteinte à la vie de la nation, c’est à la condition première que cette personne ait sollicité et obtenu cette nationalité, mais également commis ce crime, alors qu’elle était déjà majeure. À cette première condition s’en ajoute une autre, complémentaire : la déchéance ne peut être prononcée si la personne encoure le risque d’être rendue apatride ou, lorsqu’elle détient une autre nationalité, si son accueil est refusé par l’État correspondant, si elle risque de subir des traitements inhumains et dégradants, ou si elle demande à demeurer française pour un motif légitime. Une seconde phrase du même alinéa précise ensuite que la personne qui n’aurait pas été déchue pour les raisons prévues dans la première, se trouve placée sur un pied d’égalité avec les autres Français condamnés pour un même crime, et est ainsi redevable comme ceux-ci du bénéfice de la nationalité française, vis-à-vis de l’État de droit auquel elle a pourtant préjudicié.
Compte tenu de l’importance attachée par le nouvel article 66-2 de la Constitution – objet d’un précédent amendement – à la lutte contre les formes « modernes » d’esclavage, le présent amendement suggère au-delà d’assimiler, dans ce nouvel article 66-3, les crimes mentionnés à l’article 66-2 aux crimes constitutifs d’une atteinte grave à la vie de la Nation. Dans un souci de cohérence, il est également suggéré d’étendre cette disposition aux crimes concernés par l’article 53-2 de la Constitution. Ce dernier prévoit, pour rappel, la reconnaissance par la France de la juridiction de la Cour pénal internationale, dont le statut du 18 juillet 1998 précise qu’elle s’applique aux crimes de génocides, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et aux crimes d’agression.
En définitive, cette rédaction de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle permettrait à la République française de rester, y compris dans l’adversité, fidèle à des valeurs dont un de ses ressortissants, René Cassin – vice-président du Conseil d’État de 1944 à 1960 –, s’était fait le porteur lors de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont l’article 15 proclame : « – 1. Tout individu a droit à une nationalité. – 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. »
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Proposition d’amendement n° 4
Protection de la Nation – (n° 3381)
AMENDEMENT N°
présenté par
M. …
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ARTICLE additionnel
Après l’article 2, insérer l’article suivant
À l’article 1er de la Constitution, remplacer les mots : « de race », par les mots : « fondée sur des préjugés racistes ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Si la protection de la Nation peut consister en le renforcement des mesures coercitives, elle peut également passer par l’affirmation, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, de valeurs humanistes qui lui sont inhérentes ou qui devraient l’être.
Sans doute est-ce ce souci qui, de manière sous-jacente, justifie l’intention du Parti Socialiste, dont il a été fait état le 21 janvier 2016 dans la presse, de demander au Président de la République la suppression du mot « race » de la Constitution à l’occasion de l’examen du présent projet de loi constitutionnelle. Le chef de l’État s’était lui-même prononcé en faveur de cette suppression, alors qu’il était candidat à la présidence : « Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Et c’est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot “race” de notre Constitution ». Cette promesse électorale n’a pu être respectée jusqu’ici.
Peut-être ce moment est-il venu alors que la France fait l’objet d’attaques terroristes venant de groupes qui opèrent des distinctions contraires au principe de non-discrimination, consacré, tant dans le droit international, que dans notre droit constitutionnel. En effet, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 – une des pierres angulaires du « bloc de constitutionnalité » – dispose dès son 1er alinéa que « le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », tandis que l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
La présence du terme « race » dans ces définitions du principe de non-discrimination soulève évidemment une difficulté importante, à savoir celle d’après laquelle il existerait effectivement des « races humaines ». Cependant, dans la mesure où une telle croyance existe, il pourrait être difficile de la combattre utilement à défaut de pouvoir la viser. C’est pourquoi, dans son rapport du 26 avril 2013 sur la proposition de loi tendant à la suppression du mot « race » de notre législation, la Commission des lois de l’Assemblée nationale avait préconisé de « remplacer le mot “race” ou “racial” par “raciste” ou par le membre de phrase “fondée sur des raisons racistes” ou “fondée sur un critère raciste” ». Comme elle l’expliquait à l’appui : « Contrairement aux « races », le racisme, qui est la croyance erronée – et scandaleuse – en l’existence de “races” au sein de l’espèce humaine et d’une hiérarchisation entre elles, existe ». La Commission des lois concluait alors en ces termes : « Cette substitution est juridiquement neutre. Politiquement, sa signification est simple et claire : les races n’existent pas, seul le racisme existe, et la France le rejette et le combat avec fermeté. »
À cette argumentation raisonnable s’en ajoute une autre. Un consensus existe aujourd’hui en France sur l’impossibilité de modifier les déclarations de droits auxquelles renvoie le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. Parmi celles-ci figure le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 précité, dont son 1er alinéa également susmentionné. Supprimer le mot « race » dans le premier texte et le maintenir dans le second n’aurait évidemment pas de sens. En revanche, le maintenir dans une définition expresse du principe de non-discrimination figée dans l’immédiat après-guerre, et le remplacer par la mention des « préjugés racistes » dans une autre qui reflète le présent, démontrerait une nouvelle évolution de notre société face à cette question, après celle opérée en 1946.
Le présent amendement vise en conséquence à remplacer le mot « race », par les mots « fondée sur des préjugés racistes », à l’article 1er de la Constitution.
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Proposition d’amendement n° 5
Protection de la Nation – (n° 3381)
AMENDEMENT N°
présenté par
M. …
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ARTICLE additionnel
Après l’article 2, insérer l’article suivant
Au deuxième alinéa de l’article 53-1 de la Constitution, après les mots : « en faveur de la liberté », insérer les mots : « , victime de l’une des atteintes concernées par l’article 53-2 ou mentionnées à l’article 66-2 ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement est complémentaire de celui prévoyant la création d’un nouvel article 66-2 dans la Constitution. Il vise à souligner que parmi les causes d’octroi du droit d’asile, la France accorde non seulement une importance particulière aux persécutions en raison d’actions en faveur de la liberté (alinéa 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris à l’article 53-1 de la Constitution de la Ve République), mais également aux atteintes attentatoires à la valeur et à la dignité de la personne humaine mentionnées à l’article 66-2.
Dans un souci de cohérence, il est suggéré d’étendre la disposition proposée aux crimes concernés par l’article 53-2. Ce dernier prévoit, pour rappel, la reconnaissance par la France de la juridiction de la Cour pénal internationale, dont le statut du 18 juillet 1998 précise qu’elle s’applique aux crimes de génocides, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et aux crimes d’agression.
Notes:
- Clinique de légistique de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ – Paris-Saclay) et de l’Université des Antilles (UA) : http://www.vip.uvsq.fr/centre-de-recherche-versailles-saint-quentin-institutions-publiques/langue-fr/clinique-de-legistique/clinique-de-legistique-361943.kjsp ↩
- Ont contribué à la rédaction de ces amendements, Lionel Armand, Laskmi Bernal-Arno et Florence Finot, étudiants en Master 1 Droit public, et Julia Lonété, étudiante en Master 1 Droit privé, de la Faculté des Sciences juridiques et économiques de l’UA ↩
- Dans le IXe poème du recueil La France de 1874, la rédaction du premier vers est en réalité la suivante : « Je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde ». ↩
- Pour une illustration récente : S. Nebehay, « About 3,500 slaves held by Islamic State in Iraq: U.N. report », UNHCR, 19 January 2016, reuters.com. ↩
- « Homo servilis. Un être humain sans personnalité juridique : réflexion sur le statut de l’esclave dans le Code Noir », in T. Le Mar’hadour et M. Carius, Esclavage et droit, Actes du colloque de la Faculté de droit de Douai du 20 décembre 2006, Artois Presses Université, pp. 38 et 30. ↩
- Cité in L. Favoreu, L. Philip, P. Gaïa, R. Ghevontian, F. Mélin-Soucramanien, A. Roux, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, « Grandes décisions », 16e éd., 2011, p. 273. ↩
- O. Pluen, « Le crime de réduction en esclavage, ou l’incrimination du “cœur de l’esclavage moderne” en droit pénal interne par la loi du 5 août 2013 », RSCDPC, 2015, n° 1, pp. 29-47 ; O. Pluen, « Les fondements constitutionnels de l’interdiction de l’esclavage en France », RDP, Juillet-août 2015, n° 4, pp. 994-1020. ↩