Le transfert des demandeurs d’asile dans l’espace Dublin entre présomption de sécurité et présomption de vulnérabilité : regards croisés de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne
Le règlement Dublin a pour vocation d’assigner à l’un ou à l’autre État membre de l’Union européenne la responsabilité de traiter chaque demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers et de réglementer le transfert des demandeurs d’asile vers l’État responsable de leur demande. Les litiges tranchés par la CourEDH et la CJUE en matière de transferts Dublin révèlent de sensibles différences de raisonnement entre les deux Cours. En effet, certains voient en l’Europe la dépositaire d’un « ius commune » en matière de droits fondamentaux, au sein de laquelle les jurisprudences de Strasbourg et Luxembourg se caractérisent par un développement parallèle (à défaut d’être harmonisé), témoin d’un subtil équilibre entre déférence et indépendance.
Dans ce contexte, notre contribution a pour objectif de mettre en lumière les tensions qui émaillent le dialogue entre Luxembourg et Strasbourg. Après nous être concentrés sur les deux présomptions qui alimentent la jurisprudence européenne en matière de transferts Dublin, nous suggérerons quelques explications aux divergences observées entre la CourEDH et la CJUE quant au principe de non-refoulement.
Sylvain Félix est Doctorant en droit à l’Université de Neuchâtel (Suisse)
L’essentiel, en définitive, ce n’est pas d’avoir une conception hiérarchique de systèmes qui s’opposeraient. Non, l’essentiel c’est d’assurer la cohérence dans la garantie des droits fondamentaux en Europe.
Président Dean Spielmann, Audience solennelle de rentrée de la Cour européenne des droits de l’homme – Allocution d’ouverture, Strasbourg, 30 janvier 2015
I. Introduction
La protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne (UE) représente un défi pour les instances en charge de son application. A tel point que certains évoquent une concurrence entre l’Union et le Conseil de l’Europe – dépositaire de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), bien que ces deux organisations témoignent de buts historiquement similaires : la reconstruction de notre continent dès la fin de la seconde guerre mondiale.
La CEDH joue un rôle crucial dans l’ordre juridique européen, malgré le fait qu’elle ne constitue pas (encore) une source juridique directe du droit de l’Union. Cette Convention fait partie du droit commun à tous les États membres de l’UE et constitue une source d’inspiration privilégiée des droits fondamentaux européens. En effet, les droits garantis par la CEDH appartiennent au droit de l’UE en tant que principes généraux (article 6 paragraphe 3 TUE). Quant à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (charte), elle témoigne de l’influence prépondérante de la CEDH dans la protection des droits de l’homme en Europe ; la charte contient d’ailleurs une clause de concordance avec cette Convention (article 52 paragraphe 3 charte) .
La CourEDH a établi une présomption (réfragable) selon laquelle le droit de l’UE offre une protection équivalente des droits fondamentaux à celle de la CEDH. Un État membre de l’UE est ainsi présumé respecter les exigences de la CEDH s’il ne fait qu’exécuter des obligations issues de son adhésion à l’UE ; dans ce contexte, l’État engage sa responsabilité au regard de la CEDH uniquement s’il dispose d’une marge de manœuvre suffisante dans son application du droit européen («doctrine Bosphorus») 1.
La cohérence de la protection des droits fondamentaux est également un enjeu du débat lié à l’adhésion de l’UE à la CEDH : ce projet – discuté depuis plusieurs dizaines d’années – a trouvé une nouvelle impulsion grâce au Traité de Lisbonne, qui prévoit expressément cette adhésion (article 6 paragraphe 2 TUE). Le règlement européen Dublin a pour vocation d’assigner à l’un ou à l’autre État membre de l’Union européenne la responsabilité de traiter chaque demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers et de réglementer le transfert des demandeurs d’asile vers l’État responsable de leur demande.
Les litiges tranchés par la CourEDH et la CJUE en matière de transferts Dublin révèlent de sensibles différences de raisonnement entre les deux Cours. En effet, certains voient en l’Europe la dépositaire d’un « ius commune » en matière de droits fondamentaux, au sein de laquelle les jurisprudences de Strasbourg et Luxembourg se caractérisent par un développement parallèle (à défaut d’être harmonisé), témoin d’un subtil équilibre entre déférence et indépendance. Dans ce contexte, notre contribution a pour objectif de mettre en lumière les tensions qui émaillent le dialogue entre Luxembourg et Strasbourg.
Après nous être concentrés sur les deux présomptions qui alimentent la jurisprudence européenne en matière de transferts Dublin, nous suggérerons quelques explications aux divergences observées entre la CourEDH et la CJUE quant au principe de non-refoulement.
II. Le transfert des demandeurs d’asile dans l’espace Dublin : cadre juridique
A. Le régime d’asile européen commun
Le droit de l’Union européenne prévoit un régime spécifique en faveur des demandeurs d’asile et des réfugiés, connu sous le nom de régime d’asile européen commun (RAEC).
C’est dès les années 80 que l’Union européenne s’est préoccupée de l’harmonisation des législations en matière d’asile . Ces réflexions ont débouché sur la signature de la Convention de Dublin 2, qui permet de répartir les responsabilités des États membres en matière de traitement des demandes d’asile. Ce texte avait notamment pour but d’éviter l’ «asylum shopping», soit le fait – pour un même demandeur – de déposer simultanément plusieurs demandes d’asile dans des États différents.
Le Traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, marque une étape décisive dans l’harmonisation en matière d’asile : il transfère en effet le droit d’asile dans le premier pilier et prévoit la mise en place d’un régime d’asile européen commun, conçu comme une série de normes minimales communes à tous les États membres.
Lors du sommet européen de Tampere, les 15 et 16 octobre 1999, consacré à la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne, le Conseil européen s’est engagé à travailler à la mise en place de ce régime d’asile européen commun, fondé sur la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 3. Dans cette perspective, cinq instruments importants ont été adoptés entre 2000 et 2005, puis révisés entre 2011 et 2013 4 pour donner naissance à un régime d’asile européen commun de «nouvelle génération»: la «directive Procédures» 5, la «directive Accueil» 6, la «directive Qualification» 7, le «règlement Eurodac» 8, et enfin le «règlement Dublin III» 9, qui a remplacé – depuis le 1er janvier 2014 – le «règlement Dublin II» 10.
Les «règlements Dublin» ont succédé à la Convention de Dublin et prévoient une série de critères propres à désigner l’État membre de l’Union européenne responsable de l’examen matériel d’une demande d’asile déposée dans un (autre) État membre – ou dans un État «associé» 11. Ils réglementent également le transfert des demandeurs d’asile vers l’État responsable de leur demande («transfert Dublin»).
B. Le principe de non-refoulement
Les articles 18 et 19 de la charte garantissent le droit d’asile ainsi que le principe de non-refoulement.
Bien que ces deux principes ne soient pas expressément mentionnés dans la CEDH, la CourEDH a développé une jurisprudence originale en la matière, basée notamment sur une extension du champ d’application de l’article 3 CEDH.
Aux termes de cette disposition, nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ainsi la CourEDH a-t-elle admis qu’un transfert Dublin peut, sous l’angle de l’article 3 CEDH, engager la responsabilité d’un État contractant lorsqu’il existe des «motifs sérieux et avérés» de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers l’État responsable du traitement de sa demande d’asile, y courra un «risque réel» d’être soumis à la torture, ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants 12.
III. Le dialogue des juges en matière de transferts Dublin
A. Une tension institutionnelle : entre déférence et indépendance
Dans l’affaire K.R.S. contre Royaume-Uni 13, un demandeur d’asile iranien avance que son expulsion du Royaume-Uni vers la Grèce – en application du règlement Dublin II – violerait l’article 3 CEDH au titre d’un risque de renvoi subséquent en Iran. S’appuyant sur une présomption de sécurité, la CourEDH estime que «le Royaume-Uni ne manquerait pas à ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention s’il renvoyait le requérant vers la Grèce» (§ 19).
«En l’absence de toute preuve contraire», il s’agit en effet d’admettre que la Grèce se conformera à ses obligations découlant de l’article 3 CEDH et que cet État respectera son obligation de donner un contenu effectif au droit de toute personne expulsée de présenter une requête en vertu de l’article 34 CEDH (pour violation de l’article 3 CEDH) et de requérir des mesures provisoires 14.
Quelque deux ans plus tard, la CourEDH rend l’arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce 15. L’affaire porte sur la demande faite par la Belgique à la Grèce de prendre en charge un demandeur d’asile afghan, en vertu des critères Dublin. Dans son arrêt de Grande Chambre, la CourEDH estime que, compte tenu des rapports internationaux concordants faisant état des difficultés pratiques engendrées par la mise en œuvre du système Dublin en Grèce, ces défaillances devaient être connues des autorités belges. Nonobstant la présomption de sécurité forgée dans l’affaire K.R.S. contre Royaume-Uni, les autorités belges auraient dû vérifier comment la Grèce appliquait, en pratique, la législation en matière d’asile (pts 352, 358 et 359).
La CourEDH conclut à la violation de l’article 3 CEDH par la Belgique au motif qu’en renvoyant le requérant en Grèce, les autorités belges l’ont exposé aussi bien à des risques résultant des défaillances de la procédure d’asile dans ce pays (risque de refoulement indirect) qu’à des conditions de détention et d’existence contraires à cette disposition 16. Il est à relever que la «clause de souveraineté» 17 du règlement Dublin II, qui aurait permis à la Belgique d’examiner elle-même la demande d’asile déposée et de s’abstenir du transfert vers la Grèce, permet à la CourEDH d’éviter d’examiner la compatibilité du règlement Dublin II avec la CEDH puisque la présomption de protection équivalente des droits fondamentaux («doctrine Bosphorus») ne trouve pas application en l’espèce 18.
L’arrêt N.S. 19, rendu par la CJUE moins d’une année plus tard, concerne un demandeur d’asile afghan et cinq autres requérants mettant en cause, devant les juridictions britanniques et irlandaises respectivement, la décision de les renvoyer en Grèce conformément au règlement Dublin II. Saisie de demandes de décisions préjudicielles portant sur l’interprétation dudit règlement, la CJUE manifeste indubitablement sa déférence 20 envers la CourEDH, ce qui lui permet de justifier sa propre position 21:
-) indiquant que les juges de Strasbourg se sont déjà prononcés sur « une situation analogue » (pt 88) dans l’affaire M.S.S., la juridiction de Luxembourg fait écho à la position de la CourEDH en concluant que « l’article 4 de la charte (des droits fondamentaux de l’Union européenne) doit être interprété en ce sens qu’il incombe aux États membres (…) de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’«État membre responsable» au sens du règlement (Dublin II) lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile (…) dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de cette disposition» (pt 106). Le vocabulaire et les expressions choisis par la CJUE sont ceux que la CourEDH emploie également dans sa jurisprudence portant sur l’article 3 CEDH («motifs sérieux et avérés», «risque réel») 22. La CJUE confirme ainsi le caractère réfragable de la présomption de sécurité des demandeurs d’asile dans l’Union européenne.
-) la CJUE souligne que même s’il doit être supposé que les États participant au système européen d’asile respectent, notamment, la CEDH 23, la simple ratification de cette convention ne peut entraîner l’application d’une présomption irréfragable de son respect (pts 78, 80 et 103). L’on peut considérer cette affirmation comme une adhésion aux conclusions de la CourEDH, que ce soit dans la décision K.R.S. 24 ou dans l’arrêt M.S.S. 25.
-) s’appuyant sur les considérations de la CourEDH en matière d’accès aux informations sur le respect des droits fondamentaux en Grèce, la CJUE – qui partage l’analyse de la CourEDH quant à la déliquescence du système d’asile en Grèce – en conclut que les États sont en mesure «d’apprécier le fonctionnement du système d’asile dans l’État membre responsable» (pts 90 et 91).
Toujours est-il que l’arrêt M.S.S. aura porté une certaine atteinte au règlement Dublin en mettant un terme à l’automaticité des transferts intra-européens des demandeurs d’asile 26. C’est la raison pour laquelle la CJUE, soucieuse de préserver le système Dublin, marque également son indépendance en s’engageant dans la voie d’une prise en compte restrictive de la jurisprudence strasbourgeoise en matière de transferts Dublin 27.
Cette autonomie des juges de Luxembourg se manifeste par une importation des concepts de «confiance mutuelle» et de «défaillance systémique» dans le champ du contentieux des transferts Dublin.
Bien qu’aucune de ces deux expressions n’apparaisse dans le règlement Dublin II 28, la CJUE place l’ensemble du système d’asile européen sous l’empire de la confiance mutuelle 29 et érige les défaillances systémiques en facteur de déclenchement (exclusif) de la clause de souveraineté, qui permet le renversement de la présomption de sécurité 30.
La «confiance mutuelle» en droit européen est habituellement présente dans les domaines vierges d’harmonisation et vise à faciliter la reconnaissance mutuelle (champs civil, pénal et administratif), ce qui n’est évidemment pas le cas en matière de politique d’asile, où cette notion se rapproche plutôt de l’idée de solidarité entre États membres et fonde l’exécution du transfert des demandeurs d’asile 31. Ainsi, chaque État membre peut partir du principe que les autres États membres respectent les droits fondamentaux (et plus généralement : le droit européen) et laisser l’un d’eux traiter une demande d’asile «à sa place» 32, étant donné que les demandeurs d’asile sont censés bénéficier d’une protection équivalente dans chaque État Dublin 33. La présomption de sécurité est la traduction légale de ce principe de confiance mutuelle 34.
La CourEDH, quant à elle, fait uniquement allusion à ce concept – dans sa jurisprudence M.S.S. – en indiquant que les Pays-Bas, dans leurs observations en tant que tiers intervenants, ont invoqué le principe de «confiance interétatique» sur lequel est fondé le système Dublin 35.
Les «défaillances systémiques» peuvent être considérées comme une déclinaison de la «violation grave et persistante» des valeurs de l’Union énumérées à l’article 2 TUE, dont l’article 7 TUE – qui n’a jamais trouvé application à ce jour 36 – prévoit la sanction 37. Dans ses considérations sur une menace systémique envers l’état de droit, la Commission se réfère d’ailleurs à l’arrêt N.S./ M.E. 38.
Quant aux «défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’État membre responsable» 39, elles sont envisagées comme un seuil (élevé) d’exception à la confiance mutuelle, voire comme un moyen jurisprudentiel de combler une lacune du règlement Dublin II 40 : la CJUE circonscrit restrictivement, grâce à elles, l’hypothèse de renversement de la présomption de sécurité permettant de refuser un transfert Dublin au nom de l’article 4 de la charte 41, infléchissant notablement le raisonnement mené par la CourEDH dans l’arrêt M.S.S 42. A l’appui de son raisonnement, la CJUE précise – dans une formulation aussi sévère que malheureuse – que toute violation d’un droit fondamental par l’Etat membre responsable ne saurait affecter les obligations des autres Etats membres de respecter les dispositions du règlement Dublin II, et ce au nom de la confiance mutuelle 43, omettant de rappeler à cette occasion que l’article 78 TFUE lui-même place le système d’asile commun sous la garantie des droits fondamentaux 44.
Sur ce point, la CJUE se distancie des conclusions de Madame l’avocat général du 22 septembre 2011 (affaire C‑411/10), qui se montrait beaucoup plus soucieuse de cohérence entre jurisprudence de la CJUE et jurisprudence de la CourEDH. En guise de réponse aux questions préjudicielles, Mme Verica Trstenjak proposait en effet la formulation suivante : «un État membre saisi d’une demande d’asile est tenu d’exercer le droit d’examiner celle-ci qui lui est conféré par l’article 3, paragraphe 2, du règlement (Dublin II) lorsqu’en cas de transfert vers l’État membre normalement compétent à en connaître (…), le demandeur d’asile serait exposé à un risque sérieux de violation des droits que la charte des droits fondamentaux lui garantit ». (VII -Conclusion). Se référant en outre à l’article 52 paragraphe 3 de la charte, Mme Verica Trstenjak rappelait que la CJUE devait accorder à la jurisprudence de la CourEDH «une importance particulière et un poids considérable» dans son interprétation de la charte, soulignant que cette disposition instaurait «un renvoi dynamique» à «l’ensemble de la jurisprudence de la juridiction de Strasbourg » (VII – Conclusion et VI – Appréciation juridique, point 145). Soulignant néanmoins l’indépendance de la juridiction luxembourgeoise, Madame l’avocat général notait que les arrêts de la CourEDH étaient des « décisions judiciaires qui se rapport(ai)ent à un cas particulier » et « qu’il serait erroné d’appliquer la charte des droits fondamentaux en se fondant sur la jurisprudence de Strasbourg comme étant une source d’interprétation dotée d’une valeur absolue » (Appréciation juridique, point 146). Elle soulignait également que le considérant 15 du règlement Dublin II dispose que ce dernier «respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la charte des droits fondamentaux» (VI – Appréciation juridique, point 118).
Le concept de «défaillances systémiques» n’apparaît pas en tant que tel dans l’arrêt M.S.S. Il est intéressant de noter dans ce contexte que la CourEDH n’a pas déclenché la procédure de l’arrêt pilote, telle que codifiée à l’article 61 de son règlement (applicable en cas de «problème structurel ou systémique» dans un État contractant). Les «défaillances structurelles» 45 de la procédure d’asile en Grèce apparaissent, pour les juges de Strasbourg, comme la condition suffisante – mais non nécessaire – à l’application de la clause de souveraineté de l’article 3 paragraphe 2 règlement Dublin II (dont la formulation est pourtant potestative) 46. Sous l’angle de l’art. 3 CEDH, la Cour de Strasbourg ne condamne la Belgique qu’au motif que cet État a exposé le requérant aux «risques résultant des défaillances de la procédure d’asile» en Grèce ainsi qu’à des «conditions de détention et d’existence dans cet État contraires à cet article» 47.
Dans l’optique de la CJUE en revanche, les «défaillances systémiques» constituant des «motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements » 48 contraires à l’article 4 de la charte – interprétées comme une exception à la confiance mutuelle – sont une condition nécessaire 49 :
– au renversement de la présomption de sécurité dont bénéficie l’État de destination du renvoi,
– au renoncement au transfert Dublin vers l’État membre responsable,
– ainsi que, subsidiairement, à l’application de la clause de souveraineté.
L’impossibilité du transfert Dublin impose en effet à l’État transférant de poursuivre l’examen des critères de détermination d’un nouvel État responsable de l’examen de la demande d’asile, voire de faire usage de la clause de souveraineté 50. Son utilisation est ainsi obligatoire dans l’hypothèse où la continuation de l’examen des critères conduirait à un délai déraisonnable d’examen de la demande d’asile.
Les arrêts ultérieurs de la CJUE confirment son approche conservatrice en matière de transferts Dublin.
Ainsi, dans son arrêt Puid 51 concernant un transfert Dublin vers la Grèce, la juridiction de Luxembourg répète à l’identique l’argumentaire de son arrêt N.S./M.E., sans démentir l’avocat général Jääskinen 52. Celui-ci, dans les points 60 ss. de ses conclusions du 18 avril 2013 (affaire C-4/11), estime qu’un transfert Dublin est licite faute d’un constat de défaillances systémiques, qui demeurent l’exception, et insiste sur le fait que dans l’arrêt N.S./M.E., la Cour a voulu «placer la barre assez haut pour ne pas évacuer le principe de confiance mutuelle» sur lequel est fondé le règlement Dublin II.
L’arrêt Abdullahi 53 concerne une demandeuse d’asile somalienne qui conteste la compétence de la Hongrie – selon les critères du règlement Dublin II – pour examiner sa demande d’asile. La CJUE précise ici que le seul motif pour lequel un requérant peut contester cette compétence en tant qu’État membre de première entrée dans l’Union, est l’invocation de défaillances systémiques 54, ce qui implique que le demandeur ne peut pas faire contrôler la légalité de son transfert Dublin sous un autre angle (respect de la hiérarchie des critères de détermination de l’État responsable, respect des délais, …) 55.
Par leur interprétation extrêmement restrictive des obligations reposant sur les États sous l’angle des droits fondamentaux 56, les juges de Luxembourg assoient leur interprétation téléologique 57 et fonctionnelle du règlement Dublin II, partageant ainsi l’opinion (radicale) de l’avocat général Jääskinen selon lequel «l’idée du règlement (Dublin II) n’est pas de conférer des droits aux particuliers, mais d’organiser les relations entre les États membres (…) » 58.
Cette mise en avant de la portée essentiellement horizontale 59 du règlement Dublin II – au détriment des droits subjectifs des demandeurs d’asile – tranche évidemment avec l’approche de la CourEDH dans sa défense verticale des droits fondamentaux des individus. La motivation de l’arrêt Abdullahi ne fait pas mention de garanties fondamentales de procédure (alors que Madame Abdullahi et la Commission invoquaient le contrôle du respect des critères de responsabilité du règlement Dublin sur la base de l’article 47 de la charte) 60 et ne tient pas davantage compte de l’article 19 paragraphe 1 TUE, qui prescrit une protection juridictionnelle effective 61. Il convient de signaler que le considérant 19 et l’article 27 du règlement Dublin III font désormais référence au droit à un recours effectif contre les décisions de transfert Dublin, conformément à l’article 47 de la charte. A ce propos, la CJUE a été saisie de plusieurs questions préjudicielles quant à l’existence d’un droit subjectif à la contestation de l’application des critères de détermination de l’État responsable prévus par le règlement Dublin III 62.
Dans un premier temps, la CJUE a exercé une influence certaine sur la CourEDH, ce mouvement s’inscrivant dans une tradition approbative des juges de Strasbourg vis-à-vis de ceux de Luxembourg 63. La CourEDH a en effet – au terme d’un étonnant mouvement de balancier – réinterprété sa propre jurisprudence M.S.S. A l’occasion de l’examen de transferts Dublin vers l’Italie et la Hongrie, les juges ont ainsi conclu que les systèmes d’asile de ces deux États ne présentaient pas d’«incapacité systémique » 64 ou de «défaillances systématiques » 65. Ce faisant, la CourEDH adopte explicitement une approche systém(at)ique, concept que la CJUE avait précisément développé pour affirmer son indépendance vis-à-vis de la juridiction de Strasbourg.
Mais dans un second temps, les juges de Strasbourg se sont nettement distanciés de la position de la CJUE.
S’inscrivant dans la continuité de l’affaire M.S.S., l’arrêt Tarakhel 66 se prononce sur le transfert Dublin d’une famille afghane (un couple et leurs six enfants mineurs) de Suisse en Italie. Admettant que le système d’accueil des demandeurs d’asile en Italie présente des défaillances, la CourEDH se refuse néanmoins à assimiler la situation prévalant en Italie à celle de la Grèce à l’époque de l’arrêt M.S.S.; dans ces conditions, les juges de Strasbourg enjoignent les autorités suisses à obtenir des autorités italiennes – préalablement au renvoi – des garanties spécifiques concernant aussi bien la prise en charge des enfants que la préservation de l’unité familiale 67.
L’arrêt Tarakhel peut être lu comme une rupture avec la jurisprudence de la CJUE sur plusieurs points :
-) se démarquant de la juridiction de Luxembourg, la CourEDH note que la CJUE, «pour sa part 68, (….) a jugé que la présomption selon laquelle un État Dublin respecte ses obligations découlant de l’article 4 de la Charte (…) était renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile (…) » 69.
Les juges de Strasbourg insistent sur le fait que «l’origine du risque encouru ne modifie en rien le niveau de protection garanti par la Convention et les obligations que celle-ci impose à l’État auteur de la mesure de renvoi», c’est-à-dire « examiner de manière approfondie et individualisée la situation de la personne objet de la mesure et (…) surseoir au renvoi au cas où le risque de traitements inhumains ou dégradants serait avéré » (§ 104).
Aux yeux de la CourEDH, l’on ne saurait donc admettre que seules des «défaillances systémiques» justifient le renversement de la présomption de sécurité et le renoncement au transfert Dublin, comme la jurisprudence de la CJUE y invite pourtant 70. Ainsi le risque réel de traitements inhumains ou dégradants s’affranchit-il de l’exigence de «défaillances systémiques» – concept «luxembourgeois» dont l’intérêt pratique en matière de transferts Dublin paraît désormais délicat à évaluer et que les juges de Strasbourg se refusent à employer dans l’arrêt Tarakhel.
-) la CourEDH émet cependant de «sérieux doutes» (§ 115)] quant aux capacités du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile en Italie et n’exclut donc pas des violations (ponctuelles) de l’article 3 CEDH.
Mettant à mal la confiance mutuelle des États parties au système de Dublin (prônée par la CJUE) tout en soulignant les obligations pesant sur les États de renvoi 71, la CourEDH enjoint les autorités suisses à vérifier auprès de l’Italie que les requérants seront accueillis, à leur arrivée, dans des structures adaptées à l’âge des enfants. Malgré le fait que la Suisse avait été informée par les autorités transalpines que les requérants seraient hébergés à Bologne, la CourEDH – insistant sur la nécessité d’une approche individualisée des risques – estime que les autorités helvétiques ne disposent pas «d’informations détaillées et fiables quant à la structure précise de destination, aux conditions matérielles d’hébergement et à la préservation de l’unité familiale» (§ 121).
-) la CourEDH traite également la question de la protection juridictionnelle des demandeurs d’asile et démontre qu’elle ne partage pas la vision restrictive de la CJUE sur ce point.
Invoquant les articles 3 CEDH et 13 CEDH (recours effectif), les requérants avancent que leur situation familiale n’a pas été examinée avec suffisamment d’attention par les autorités suisses. La CourEDH rejette leur grief en relevant d’une part qu’ils ont pu plaider, durant la procédure de recours, que leurs conditions d’accueil en Italie seraient contraires à la CEDH (§ 128), et d’autre part que les juges suisses se sont penchés «sans ambiguïtés sur la spécificité de la situation des requérants», l’arrêt en question répondant «en détail aux griefs soulevés» (§ 130). La CourEDH note enfin que la juridiction suisse se livre habituellement, dans ce domaine, à «un examen approfondi de chaque situation individuelle» (§ 131).
Ces considérations tranchent avec l’extrême réticence de la CJUE à reconnaître, dans l’arrêt Abdullahi, les droits subjectifs susceptibles de découler du règlement Dublin II 72.
De manière générale, l’arrêt Tarakhel révèle toute la nuance apportée par la CourEDH dans la gradation des risques et par, contraste, la crispation de la CJUE en matière de transferts Dublin.
En tout état de cause, la CJUE ne semble pas, loin s’en faut, acquiescer à l’orientation donnée par la CourEDH à la protection des demandeurs d’asile sous l’angle de leur transfert.
Dans son avis 2/13 portant sur le projet d’accord d’adhésion de l’UE à la CEDH 73, la Cour de Luxembourg accentue en effet le rôle central joué par la confiance mutuelle au sein de l’Union européenne. Se référant notamment à sa jurisprudence N.S./ M.E., la CJUE rappelle que la confiance mutuelle impose à chaque État «de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit » ( pt 191). Par conséquent, les États membres ne peuvent pas vérifier si un autre État membre a respecté, dans un cas concret, les droits fondamentaux de l’UE (pt 192).
Or, le projet d’accord avaliserait une conception des relations entre États membres de l’UE qui ne serait pas compatible avec ce principe 74 : en effet, la CEDH « exigerait d’un État membre la vérification du respect des droits fondamentaux par un autre État membre, alors même que le droit de l’Union impose la confiance mutuelle entre ces États membres (…)» (pt 194). Ces remarques de la CJUE résonnent comme une réponse à l’affaire Tarakhel et laissent présager de nouvelles dissensions entre les deux Cours.
Il n’est cependant nullement certain qu’il existe une réelle incompatibilité entre le droit de l’Union européenne et la CEDH sur ce point: en matière de transferts Dublin, la clause de souveraineté permet ainsi aux États membres de respecter à la fois la CEDH et leurs obligations résultant du système Dublin. En l’absence de défaillances systémiques, l’État de renvoi ne pourrait pas faire usage de l’article 3 paragraphe 2 du règlement Dublin III – codifiant la jurisprudence N.S./ M.E. – pour poursuivre l’examen des critères de l’État responsable de la demande d’asile, mais il serait tenu par la CEDH d’appliquer la clause de souveraineté (article 17 du règlement Dublin III) et d’examiner lui-même la demande d’asile lorsqu’il existe un risque réel de soumission à la torture, ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Quoi qu’il en soit, l’adhésion de l’UE à la CEDH ne saurait être considérée comme étant à l’origine d’une « atteinte aux caractéristiques spécifiques du droit de l’Union » 75 sous cet angle puisque la problématique de la « vérification du respect des droits fondamentaux par un autre État membre » (pt 194) se pose déjà à l’heure actuelle, en raison exclusivement de l’appartenance des États membres à la CEDH 76.
B. Une tension matérielle : entre présomption de sécurité des États et présomption de vulnérabilité des demandeurs d’asile
La tension institutionnelle entre Luxembourg et Strasbourg en matière de transferts Dublin semble alimentée par une tension matérielle plus latente.
A la présomption de sécurité des États répond en effet la présomption de vulnérabilité des demandeurs d’asile 77. La vulnérabilité supposée 78 des demandeurs d’asile constitue le motif – parfois implicite – de la règle de droit ou du raisonnement du juge 79, qui ne peut pas être renversé 80.
Tous les êtres humains sont vulnérables, c’est-à-dire exposés aux blessures, à la douleur, à la maladie 81, ou plus généralement à une atteinte à leurs intérêts 82.
Certains sont cependant plus vulnérables que d’autres, marqués par une fragilité structurelle 83, dans la mesure où diverses circonstances favorisent leur sensibilité aux agressions. Il s’agit donc de distinguer une vulnérabilité générale d’une vulnérabilité spéciale 84.
Les droits de l’homme, compris comme des droits égaux protégeant des intérêts fondamentaux menacés, sont structurellement porteurs de vulnérabilité 85. Ni le texte de la CEDH ni celui de ses Protocoles ne font cependant mention de la vulnérabilité. En revanche, ce concept est invoqué de manière toujours plus fréquente par la jurisprudence de la CourEDH 86. Son président Dean Spielmann a d’ailleurs souligné cette «obligation que la Cour s’impose de toujours protéger les plus faibles et les plus vulnérables» 87.
En effet, les juges de Strasbourg tiennent compte de la vulnérabilité spéciale de certaines catégories de personnes 88 ainsi que de formes aggravées de vulnérabilité 89 issues de combinaisons de causes de vulnérabilité 90, pour souligner la nécessité d’une protection renforcée des intéressés 91.
Ainsi la vulnérabilité constitue-t-elle le motif d’une obligation spéciale de protection à charge des États.
Dans l’affaire M.S.S., la CourEDH souligne qu’un demandeur d’asile appartient «à un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable qui a besoin d’une protection spéciale», compte tenu de «son parcours migratoire et des expériences traumatiques qu’il peut avoir vécues en amont» 92. Cette vulnérabilité justifie une condamnation de la Grèce pour violation de l’article 3 CEDH (conditions de détention et conditions d’existence) et, par conséquent, une condamnation de la Belgique pour violation de l’article 3 CEDH (exposition à des conditions de détention et des conditions d’existence en Grèce contraires à cette disposition) 93.
En ce sens, la présomption de vulnérabilité des demandeurs d’asile – confrontés à des circonstances particulières – et la présomption de respect des obligations internationales par les États, révèlent leur antagonisme.
La notion de vulnérabilité est absente de l’arrêt N.S./ M.E. 94, alors que l’arrêt M.S.S.– auquel la CJUE se réfère explicitement – souligne clairement la vulnérabilité des demandeurs d’asile 95. La notion de vulnérabilité n’apparaît pas non plus dans les arrêts Puid et Abdullahi, ce qui traduit à l’évidence la méfiance de la CJUE envers cette notion porteuse de défiance envers le système Dublin : l’arrêt Tarakhel démontrera en effet que la prise en compte de la vulnérabilité de certains demandeurs d’asile impose aux États des exigences procédurales que la CJUE estime contraires au principe de confiance mutuelle.
Cette réticence de la CJUE à reconnaître explicitement la vulnérabilité des demandeurs d’asile en matière de transferts Dublin trouve vraisemblablement son explication dans le fait que l’entier du système Dublin repose sur un (solide) paradigme de sécurité 96, nonobstant la «logique de protection des personnes vulnérables » 97 qui sous-tend le système d’asile européen.
Notons à ce propos que tous domaines confondus, rares sont les occasions dans lesquelles la vulnérabilité est expressément mentionnée par la CJUE en faveur de personnes pourtant considérées comme spécialement fragiles, même si la protection des personnes vulnérables se concrétise le plus souvent, dans la jurisprudence de Luxembourg, sous l’angle procédural – et le règlement Dublin se prêterait fort bien à ce type de protection.
Cependant, la rareté du vocable « vulnérabilité » dans la jurisprudence de la CJUE ne signifie nullement que celle-ci est insensible à la réalité qu’il désigne : dans son arrêt Zambrano par exemple 98, la CJUE enjoint l’État à protéger les plus faibles des citoyens de l’UE, sous l’angle de la jouissance effective des droits attachés à leur statut 99.
En matière d’asile, la Cour de Luxembourg relève, dans l’arrêt MA, BT et DA, que «les mineurs non accompagnés form(e)nt une catégorie de personnes particulièrement vulnérables» 100. Se montrant soucieuse de leur protection, elle dit pour droit que lorsqu’ «un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire d’un État membre a déposé des demandes d’asile dans plus d’un État membre », l’État responsable du traitement de sa demande est celui «dans lequel se trouve ce mineur après y avoir déposé une demande d’asile» 101.
Relevons tout d’abord que la question préjudicielle posée à la CJUE ne porte pas sur l’existence d’un éventuel droit subjectif à l’examen d’une demande d’asile par un État donné, mais sur l’interprétation d’une disposition du règlement Dublin II en matière de désignation d’État responsable – interprétation orientée par la présomption de vulnérabilité posée en faveur des intéressés. La description du litige au principal laisse néanmoins apparaître que la légalité du transfert Dublin envisagé (du Royaume-Uni vers l’Italie respectivement vers les Pays-Bas) a été contestée sans invocation de «défaillances systémiques» et que ces procédures ont débouché sur un examen des demandes d’asile, par le Royaume-Uni, en application de la clause de souveraineté.
La CJUE semble ici cautionner ce qu’elle refusera d’admettre dans l’arrêt Abdullahi 102, ce qui peut s’expliquer par la vulnérabilité présumée des intéressés (mineurs et non accompagnés).
Au surplus, la confiance mutuelle ne constitue définitivement pas l’enjeu de l’arrêt MA, BT et DA, qui ne s’inscrit nullement dans une tension entre présomption de sécurité et présomption de vulnérabilité. Seuls des motifs strictement liés au statut des trois demandeurs d’asile concernés (leur minorité et le fait qu’ils soient non accompagnés) guident le raisonnement de la CJUE 103.
Dans la jurisprudence de la Cour de Luxembourg en matière de transferts Dublin, la vulnérabilité est donc restrictivement reconnue, c’est-à-dire aux demandeurs d’asile mineurs non accompagnés 104.
Sans que l’on puisse identifier une influence aussi nette de la Cour de Luxembourg sur celle de Strasbourg qu’en matière de défaillances systémiques 105, force est d’admettre que la CourEDH ne semble désormais reconnaître que des formes aggravées de vulnérabilité en matière de transferts Dublin. Comme le craignait avec raison la doctrine 106, l’on assiste vraisemblablement à une hiérarchisation des causes de vulnérabilité.
En effet, alors que les juges de Strasbourg soulignent, dans l’arrêt M.S.S., qu’un demandeur d’asile appartient de facto à un «groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable qui a besoin d’une protection spéciale » 107, ils insistent – dans l’arrêt Tarakhel – sur le fait que cette exigence de protection spéciale est «d’autant plus importante» lorsque les requérants d’asile sont «des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême 108 vulnérabilité » 109. L’arrêt Tarakhel met à son tour en tension la présomption de sécurité et la présomption de vulnérabilité, rappelant à cette occasion que «la présomption selon laquelle un État participant au système Dublin respecte les droits fondamentaux n’est pas irréfragable » (§ 103).
La lecture des arrêts et décisions ultérieurs fait naître le sentiment que ce critère de l’extrême vulnérabilité est désormais seul pertinent en matière de transferts Dublin 110.
Ainsi dans les affaires A.M.E. contre Pays-Bas 111 et M.O.S.H. contre Pays-Bas 112, les juges de Strasbourg déclarent-ils irrecevables les requêtes de deux demandeurs d’asile somaliens relevant de la compétence de l’Italie selon les critères Dublin, soulignant que les intéressés sont de jeunes hommes en pleine possession de leurs moyens et sans personne à charge.
La vulnérabilité spécifique d’un demandeur d’asile malade n’est pas davantage envisagée par la CourEDH dans son examen de la conventionnalité d’un transfert Dublin, puisqu’elle se réfère alors à sa jurisprudence (générale) portant sur le renvoi des étrangers malades 113.
Qui plus est, la CourEDH ne fait aucune allusion, dans ces trois affaires, à la présomption de sécurité, ce qui tend à démontrer que seule une tension entre présomption de sécurité et présomption de vulnérabilité aggravée est désormais pertinente.
Tant la CJUE que la CourEDH semblent renoncer à une essentialisation de la vulnérabilité des demandeurs d’asile en tant que catégorie 114 : la protection spéciale qui doit être accordée – à certains d’entre eux – découle de facteurs subjectifs (le fait d’être un mineur [non accompagné], par exemple) et/ou de facteurs objectifs (les conditions de détention, par exemple) 115. En particulier, il s’agit d’admettre que la CourEDH tient compte de la vulnérabilité des demandeurs d’asile afin de déterminer si une violation de leurs droits s’est produite 116.
Quant au corpus normatif du régime d’asile européen commun de «nouvelle génération», il tient compte – bien plus ouvertement que son prédécesseur – de la vulnérabilité de certains demandeurs d’asile 117 (les mineurs non accompagnés, les personnes handicapées, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des troubles mentaux, etc.). Le considérant 17 du règlement Dublin III insiste, plus que le considérant 7 du règlement Dublin II, sur la faculté des États membres de «déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion (…)». Il est d’ailleurs admis que le règlement Dublin III «met davantage l’accent sur la sécurité des groupes vulnérables (…)» 118.
Témoignant d’une consolidation catégorielle 119, ces textes donneront certainement l’occasion à la CJUE de préciser sa position au regard de la jurisprudence de la CourEDH en matière de vulnérabilité.
C. L’origine des tensions
Nous l’avons vu, le dialogue entre la juridiction de Luxembourg et celle de Strasbourg est émaillé de tensions. Leur origine est sans doute à chercher dans le potentiel de «mise en danger» réciproque que représentent – pour la juridiction de Luxembourg – la confiance mutuelle d’une part et l’effectivité de la protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile d’autre part 120. Cette dissonance s’accentue au regard du fait que la clause de souveraineté du règlement Dublin peut être considérée, en soi, comme une exception à la confiance mutuelle 121.
Un examen du rôle de chacune des deux Cours permet également d’expliquer leur approche différenciée de la problématique de l’asile, et spécifiquement des transferts Dublin.
Instituée afin d’assurer le respect de la CEDH (article 19 CEDH) et de protéger les individus contre les violations des droits de l’homme dont se rendraient coupables les États contractants 122, la CourEDH rappelle volontiers l’obligation incombant aux États parties d’assurer la «protection intégrale au niveau national des droits et libertés» garantis par la CEDH et de «tenir compte des développements de la jurisprudence de la Cour» 123. La CourEDH insiste sur le fait que «le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs» 124.
Quant à la CJUE, elle est notamment appelée – en tant qu’institution de l’Union européenne – à «servir ses intérêts» ainsi qu’à «assurer (…) l’efficacité (….) de ses politiques» (article 13 TUE). La portée des droits reconnus par la charte doit être identique à celle des droits correspondants de la CEDH (article 52 paragraphe 3 de la charte) et la CJUE donne à penser qu’elle interprète la législation européenne en matière d’asile en conformité avec la jurisprudence de la CourEDH. Mais les juges de Luxembourg entendent également défendre tant l’ordre juridique européen que leur propre autonomie 125 ; il est évident que le contrôle juridictionnel effectué par la CJUE est, à maints égards, plus étendu et plus varié que celui exercé par la CourEDH, ce qui influence son interprétation des droits fondamentaux 126 dans le sens d’une défense de la cohésion européenne.
Ainsi par exemple, un arrêt rendu par la CJUE suite à un renvoi préjudiciel (article 267 TFUE) doit-il assurer l’uniformité de l’interprétation et de l’application du droit européen, en ce sens que la décision préjudicielle vaut pour tous les États membres et que sa portée est rétroactive. L’uniformité de l’application du droit européen est une «exigence fondamentale de l’ordre juridique communautaire» et «implique qu’une portée analogue soit donnée au droit de l’Union, afin de lui faire produire les mêmes effets». La logique d’intégration de l’Union européenne expliquerait donc que le droit européen impose un «standard de protection des droits fondamentaux qui constitue en même temps un seuil et un plafond de protection», au contraire d’un instrument «vivant» tel que la CEDH 127, qui implique une interprétation dynamique et évolutive reflétant «le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme», lequel engendre une interprétation restrictive des limitations apportées aux droits reconnus 128.
Ainsi, aux yeux de la CJUE, il s’agit d’interpréter les droits fondamentaux reconnus par la charte «dans le cadre de la structure et des objectifs de l’Union», objectifs sous-tendus par un processus d’intégration considéré comme «la raison d’être de l’Union elle-même» 129.
Les droits fondamentaux semblent donc jouer un rôle réduit dans l’application d’instruments de coordination tels que le système Dublin 130, comme l’ont en particulier montré les arrêt N.S./ M.E. et Abdullahi, dès lors qu’une interprétation extensive de l’article 4 de la charte pourrait porter préjudice à l’action politique communautaire 131.
Il est possible d’affirmer que la Cour de Luxembourg contrôle le respect des droits au sein de l’Union alors que la Cour de Strasbourg examine le respect des droits au sein de l’État membre 132. Cette assertion peut être illustrée par une rapide comparaison entre les articles 53 de la charte et 53 CEDH : alors qu’en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le niveau de protection des droits fondamentaux garanti par le droit d’un État membre de l’UE ne doit pas être supérieur à celui garanti par le droit de l’Union 133, une partie contractante à la CEDH peut prévoir un niveau de protection plus élevé que celui conféré par cette Convention 134.
Ainsi se dégage, selon une partie de la doctrine, une divergence fondamentale sur la conception de l’État qui sous-tend le système de l’Union européenne respectivement le système du Conseil de l’Europe, et par conséquent les jurisprudences de Luxembourg et de Strasbourg. Certes, chacun de ces systèmes a pour origine une volonté d’inscrire l’État dans un cadre supranational. Mais la CEDH envisage l’État comme le détenteur du pouvoir sur un espace donné, dont il s’agit d' »encadrer l’exercice », alors que l’Union européenne n’envisage pas l’État comme « agissant dans un intérêt exclusivement national », mais bien comme tenant compte « d’autres intérêts nationaux concurrents »: la spécificité du droit de l’Union, en définitive, réside dans le fait qu’il s’appuie sur les « relations horizontales » et une « présomption de confiance » entre États membres. Le diagnostic d’une « incompatibilité génétique entre les modes de fonctionnement des mécanismes européens supra-nationaux » 135est suggéré, dont le principal symptôme serait la remise en question de la confiance mutuelle par l’obligation de contrôler le respect des droits fondamentaux entre États membres, comme l’a exigé la CourEDH dans l’affaire Tarakhel.
La question de savoir si la CJUE est réellement « jalouse de son autonomie » 136 se révélerait alors secondaire : le dialogue des juges serait structurellement destiné à ressembler à un «dialogue de sourds». Il va sans dire que le risque de divergence entre les deux Cours, thématisé dans notre contribution, apparaîtrait alors comme une évidence.
Comment dès lors maintenir la vision d’une Europe dépositaire d’un « ius commune » en matière de droits fondamentaux, au sein de laquelle les jurisprudences de Strasbourg et Luxembourg se caractériseraient par un développement parallèle (à défaut d’être harmonisé), témoin d’un subtil équilibre entre déférence et indépendance 137 ?
A notre sens, ces deux discours ne sont pas incompatibles : ils attirent notre attention sur le fait qu’au-delà des signaux d’ouverture/ de fermeture manifestés par chacune des Cours, la mise en œuvre concrète des droits fondamentaux à portée transnationale s’appuie sur des prémisses radicalement différentes, qui permettent au surplus d’éviter une certaine redondance entre Strasbourg et Luxembourg.
IV. Conclusion
La confiance mutuelle qui lie les États européens, ainsi que le processus d’intégration européenne, rendent très improbable un alignement des positions respectives des Cours de Luxembourg et de Strasbourg concernant les conditions du renversement de la présomption de respect des droits fondamentaux des demandeurs d’asile (destinés à être) transférés dans un État de l’espace Dublin.
Par contre, une prise en compte de la vulnérabilité aggravée de certains demandeurs d’asile par chacune des deux Cours dans leur raisonnement quant à l’application du règlement Dublin III est non seulement désirable, mais aussi tout à fait vraisemblable.
Levier de l’optimisation de la protection des droits fondamentaux 138 des demandeurs d’asile, la présomption de vulnérabilité revêt une certaine importance dans les textes du nouveau régime d’asile européen commun et guide fréquemment la réflexion (progressiste) 139 des juges de la CourEDH.
Notes:
- CourEDH, arrêt n° 45036/98, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi contre Irlande, 30.6.2005
- Convention du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes, JO n° C 254 du 19 août 1997, p.1
- MATTHEY Fanny, Procédures d’asile et pluralité de statuts – Du ‘nomad’s land’ au ‘no man’s land juridique’: parcours de la personne dont la demande d’asile est refusée, en droit suisse et en droit européen, Bâle, Helbing Lichtenhahn, 2012, pp. 29 ss.
- OFFICE DES PUBLICATIONS DE L’UNION EUROPEENNE, Le régime d’asile européen commun (factsheet), Luxembourg, 2014
- Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte), JO n° L 180 du 29 juin 2013, p. 60
- Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), JO n° L 180 du 29 juin 2013, p. 96
- Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), JO n° L 337 du 20 décembre 2011, p. 9
- Règlement (UE) no 603/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) no 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (refonte), JO n° L 180 du 29 juin 2013, p. 1
- Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), JO n° L 180 du 29 juin 2013, p. 31
- Règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, JO n° L 50 du 25 février 2003, p. 1
- La Suisse était liée par le «règlement Dublin II» en vertu d’un accord d’association et demeure liée au «règlement Dublin III» : voir message du conseil fédéral du 7 mars 2014 relatif à l’approbation et à la mise en œuvre des échanges de notes entre la Suisse et l’UE concernant la reprise des règlements UE n° 603/2013 et n° 604/2013 – Développements de l’acquis de Dublin/Eurodac, FF 2014 2587, ch. 1.1, 1.2, 2 et 7.2
- CourEDH, décision n°32733/08, K.R.S. contre le Royaume-Uni, 2.12.2008
- CourEDH, décision n°32733/08, K.R.S. contre le Royaume-Uni, 2.12.2008
- Au sens de l’art. 39 Règlement CourEDH
- CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011
- SUDRE Frédéric, MARGUENAUD Jean-Pierre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, 6e édition, pp. 184-185
- Art. 3 § 2 règlement Dublin II
- CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, pts 339 et 340. LABAYLE Henri, «Droit d’asile et confiance mutuelle : regard critique sur la jurisprudence européenne», Cahiers de droit européen 2014, n°3, pp. 501-534, p. 506
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. et M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 507
- DOUGLAS-SCOTT Sionaidh, «A Tale of Two Courts: Luxembourg, Strasbourg and the Growing European Human Rights Acquis», Common Market Law Review 2006, n° 43, pp. 629-665, p. 645
- Cette déférence pourrait expliquer pourquoi la CJUE ne se penche pas sur l’application de l’art. 19 par. 2 de la charte, qui prévoit pourtant le principe de non-refoulement
- Les 28 membres de l’UE – et les autres États d’Europe participant au système de Dublin – sont également États parties au Conseil de l’Europe. Désormais, l’adhésion à la CEDH est une condition d’adhésion à l’UE
- La CourEDH y affirme qu’en l’absence de toute preuve contraire, il faut présumer que la Grèce respectera l’article 3 CEDH
- La CourEDH y affirme notamment que la Belgique ne devait pas se contenter de présumer que le requérant recevrait, en Grèce, un traitement conforme aux exigences de la CEDH
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 509
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 516
- Sous l’influence de la jurisprudence N.S./ M.E., le règlement Dublin III a intégré ces deux expressions – consid. 22 et art. 3 § 2
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pts 78, 79 et 83
- LABAYLE Henri, op. cit., pp. 510, 511, 517 et 523
- Une «reconnaissance mutuelle» existe marginalement en matière d’asile, puisque les États membres n’interfèrent évidemment pas avec les décisions déjà rendues par l’un d’eux : VELLUTI Samantha, «Who has the Right to have Rights ? The Judgments of the CJEU and the ECtHR as Building Blocks for a European « ius commune » in Asylum Law», in Morano-Foadi Sonia et Vickers Lucy (ed), Fundamental Rights in the EU – A Matter for Two Courts, Oxford and Portland, Oregon, Hart Publishing, 2015, pp. 139-157, p. 143
- LABAYLE Henri, op. cit., pp. 511 à 513
- En réalité, il existe des différences significatives entre les niveaux de protection assurés aux demandeurs d’asile dans les différents États membres :VELLUTI Samantha, op. cit., p. 143
- VELLUTI Samantha, op. cit., p. 142
- CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, pt 330
- SPAVENTA Eleanor, «A very fearful Court ? The Protection of Fundamental Rights in the European Union after Opinion 2/13», Maastricht Journal of European and Comparative Law 2015, volume 22, n°1, pp. 35-56, p. 51
- LABAYLE Henri, op. cit., pp. 519-520
- Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit, du 11 mars 2014, COM [2014] 158, p. 7
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pt 86
- OUSMANE Samah, «Développements jurisprudentiels relatifs à la clause de souveraineté du Règlement Dublin II : l’affaire Puid», ASYL 2014, n° 1, pp. 18-20. Cette appréciation est confirmée par le fait que le règlement Dublin III prévoit désormais l’obligation expresse de renoncer au transfert d’un demandeur d’asile vers un État membre souffrant de défaillances systémiques de sa procédure d’asile et de ses conditions d’accueil – art. 3 par. 2
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pts 94 et 106. Voir également LABAYLE Henri, op. cit., p. 514
- PLATON Sébastien, Le rejet de l’accord d’adhésion de l’Union européenne à la CEDH par la Cour de justice : un peu de bon droit, beaucoup de mauvaise foi ?, RDLF 2015, chron. n°13, (www.revuedlf.com)
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pts 82 et 83
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 515
- La CourEDH n’utilise cette expression qu’une seule fois, pour qualifier la procédure d’asile en Grèce, et non pas les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, comme le suggère la CJUE dans sa lecture très orientée de la jurisprudence strasbourgeoise (CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pt 89). Les juges de Strasbourg font état au surplus des «défaillances dans l’examen par les autorités grecques de la demande d‘asile du requérant (…)» – CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, pts 300 et 321
- CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, pts 339, 340 et 358
- CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, Dispositif, points 10 et 12
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pt 106
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 516
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pts 107 et 108 + dispositif
- CJUE, 14 novembre 2013, Puid, C-4/ 11, ECLI:EU:C:2013:740
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 520
- CJUE, 10 décembre 2013, Abdullahi, C-394/12, ECLI:EU:C:2013:813
- CJUE, 10 décembre 2013, Abdullahi, C-394/12, ECLI:EU:C:2013:813, pt 62
- CJUE, 10 décembre 2013, Abdullahi, C-394/12, ECLI:EU:C:2013:813, pt 45, a contrario
- SPAVENTA Eleanor, op. cit., p. 50, note 69
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 522
- CJUE, 14 novembre 2013, Puid, C-4/ 11, ECLI:EU:C:2013:740, pt 58
- LABAYLE Henri, op. cit., pp. 521-522
- CJUE, 10 décembre 2013, Abdullahi, C-394/12, ECLI:EU:C:2013:813, pts 43 à 45
- HRUSCHKA Constantin, «Real risk oder systemische Mängel ? Zwei Gerichtsentscheidungen zum Massstab der gerichtlichen Überprüfung der drohenden Gefährdung bei Dublin-Überstellungen», ASYL 2014, n° 2, pp. 20-22
- Demande de décision préjudicielle présentée par le rechtbank Den Haag, siègeant à ’s-Hertogenbosch (Pays-Bas) le 12 février 2015 – Mehrdad Ghezelbash/Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, Affaire C-63/15, JO n° C 138 du 27 avril 2015, pp. 36-37 ; Demande de décision préjudicielle présentée par le Kammarrätten i Stockholm – Migrationsöverdomstolen (Suède) le 1er avril 2015 – George Karim/Migrationsverket, Affaire C 155/15, JO n° C 198 du 15 juin 2015, p. 23
- DOUGLAS-SCOTT Sionaidh, op. cit., p. 644
- CourEDH, décision n°27725/10, Samsam Mohammed Hussein et autres contre Pays-Bas et Italie, 2.4.2013, pt 78 ; CourEDH, décision n° 6198/12, Khalisat Daytbegova et Mariat Magomedova contre Autriche, 4.6.2013, pt 66
- CourEDH, arrêt n°71932/12, Mohammadi contre Autriche, 3.7.2014, pt 74. L’usage de l’adjectif systématique (et non systémique) pourrait traduire l’accent porté sur la répétition et l’échelle de grandeur des défaillances (l’adjectif systémique soulignant le caractère structurel/qualitatif des défaillances). A nos yeux, cette nuance n’a pas de réelle portée, surtout si l’on estime que la CJUE utilise l’adjectif systémique au sens de systématique (LABAYLE Henri, op. cit., pp. 517-518). Quoi qu’il en soit, cette notion est absente de l’arrêt M.S.S. de la CourEDH
- CourEDH, arrêt n° 29217/12, Tarakhel contre Suisse, 4.11.2014
- CourEDH, arrêt n° 29217/12, Tarakhel contre Suisse, 4.11.2014, pts 106 -115 et pt 122
- Nous soulignons
- CourEDH, arrêt n° 29217/12, Tarakhel contre Suisse, 4.11.2014, pt 103. Les juges de Luxembourg, quant à eux, avaient affirmé que toute violation d’un droit fondamental par l’État membre responsable ne saurait affecter les obligations des autres États membres de respecter les dispositions du règlement Dublin II, c’est-à-dire effectuer le transfert Dublin : CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, pt 82
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 528
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 530
- LABAYLE Henri, op. cit., pp. 530 – 531
- Avis 2/13 du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454
- LABAYLE Henri, op. cit., p. 533
- Avis 2/13 du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, pt 200
- PLATON Sébastien, Le rejet de l’accord d’adhésion de l’Union européenne à la CEDH par la Cour de justice : un peu de bon droit, beaucoup de mauvaise foi ?, RDLF 2015 chron. n°13, (www.revuedlf.com)
- Selon nous, il ne s’agit pas ici d’un conflit de présomptions, qui suppose une incompatibilité (GROSSEN Jacques-Michel, Les présomptions en droit international public, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1954, pp. 42-43), mais bien de deux présomptions antagonistes se modérant l’une l’autre : cf CAIRE Anne-Blandine, Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l’Homme, Limoges, e-publications, 2012, pp. 217-218
- GROSSEN parlait déjà de faiblesse présumée, fondée sur la «volonté de favoriser certains justiciables, sur une idée de protection des faibles», comme les enfants, les ouvriers, etc. (GROSSEN Jacques-Michel, op. cit., p. 46). A nos yeux, la vulnérabilité est rendue présomptive par la potentialité de la menace contre l’intérêt protégé: cf également BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», in Burgorgue Larsen Laurence (éd), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Cahiers européens n° 7, Paris, Pedone, 2014, pp. 59-85, p. 60
- La doctrine a relevé que la CourEDH «traite la vulnérabilité comme un état de fait manifeste qu’il n’y a pas besoin d’établir par un moyen de preuve particulier », ce qui confirme le statut de la vulnérabilité comme motif du raisonnement du juge: BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», op. cit., pp. 59-85, p. 67
- GROSSEN Jacques-Michel, op. cit., pp. 20-23; CAIRE Anne-Blandine, op. cit., pp. 88-92 et p. 104
- http://www.cnrtl.fr/definition/vulnérable consulté, en dernier lieu, le 10 juillet 2015
- BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», in Burgorgue Larsen Laurence (éd), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Cahiers européens n° 7, Paris, Pedone, 2014, pp. 59-85, p. 60
- DUBOUT Edouard, «La vulnérabilité saisie par la Cour de justice de l’Union européenne», in Burgorgue Larsen Laurence (éd), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, op. cit., pp. 31-57, p. 33
- CAIRE Anne-Blandine, op. cit., p. 353
- BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», op. cit., pp. 59-85, pp. 59 ss.
- BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», op. cit. pp. 59-85, p. 65; CAIRE Anne-Blandine, op. cit., pp. 353 à 358. La CourEDH fait parfois mention explicite du caractère présomptif de la vulnérabilité, cf CourEDH, arrêt n° 64846/01, Moisejevs contre Lettonie, 15.06.2006, pt 180
- SPIELMANN Dean, Audience solennelle de rentrée de la Cour européenne des droits de l’homme – Allocution d’ouverture, Strasbourg, 30 janvier 2015
- Les enfants, les personnes malades, les détenus, les Roms, etc. : BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme»,op. cit., pp. 59-85, p. 69
- P. ex. une femme africaine exerçant la prostitution: CourEDH, arrêt n°47159/08, B.S. contre Espagne, 24.07.2012, pt 71
- BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», op. cit., pp. 59-85, p. 70
- Selon l’arrêt Dudgeon par exemple, les personnes vulnérables sont «à protéger»: CourEDH, arrêt n° 7525/76, Dudgeon contre Royaume-Uni, 22.10.1981, pt 60
- § 232, 233, 251, 259, 263 et 375
- § 3, 5 et 12
- CJUE, 21 décembre 2011, N. S. / M. E., C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905
- De manière plus générale, certains voient dans cette frilosité de la CJUE la volonté d’éviter un conflit entre les besoins des personnes vulnérables et les principes économiques de marché sous-tendant la création de la Communauté européenne: cf DUBOUT Edouard, «La vulnérabilité saisie par la Cour de justice de l’Union européenne»,op. cit, pp. 31-57, p. 34
- VELLUTI Samantha, op. cit., p. 147
- DUBOUT Edouard, «La vulnérabilité saisie par la Cour de justice de l’Union européenne», op. cit, pp. 31-57, p. 44
- CJUE, 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C-34/09, Rec. p. I-01177
- DUBOUT Edouard, «La vulnérabilité saisie par la Cour de justice de l’Union européenne», op. cit., pp. 31-57, pp. 32-34, pp. 42 ss. et pp. 53 ss.
- CJUE, 6 juin 2013, MA, BT et DA, C-648/11, ECLI:EU:C:2013:367, pt 55
- CJUE, 6 juin 2013, MA, BT et DA, C-648/11, ECLI:EU:C:2013:367, dispositif
- A cet égard, il nous paraît significatif que le considérant 15 du règlement Dublin II – qui dispose que ce dernier respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la charte – soit cité dans l’arrêt MA, BT et DA, mais pas dans l’arrêt Abdullahi
- Dans sa présentation du cadre juridique de l’affaire, la CJUE mentionne d’ailleurs l’art. 24 de la charte, c’est-à-dire les droits de l’enfant: CJUE, 6 juin 2013, MA, BT et DA, C-648/11, ECLI:EU:C:2013:367, pt 3
- La hiérarchie des critères de détermination de l’État membre responsable est, en soi, largement basée sur une présomption de vulnérabilité: p.ex. art. 6 du règlement Dublin II [mineur non accompagné]
- Supra, chiffre III. A
- BESSON Samantha, «La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme – L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», op. cit., pp. 59-85, p. 71
- CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, pt 251
- Nous soulignons
- CourEDH, arrêt n° 29217/12, Tarakhel contre Suisse, 4.11.2014, pt 119
- La doctrine avait pressenti que l’insistance avec laquelle la CourEDH soulignait la vulnérabilité particulière des intéressés dans l’affaire Tarakhel indiquait que sa solution aurait été différente s’il ne s’était pas agi d’enfants: cf LABAYLE Henri, op. cit., p. 531
- CourEDH, décision n° 51428/10, A.M.E. contre les Pays-Bas, 13.1.2015
- CourEDH, décision n° 63469/09, M.O.S.H. contre les Pays-Bas, 3.2.2015
- CourEDH, arrêt n°39350/13, A.S. contre Suisse, 30.6.2015, pt 31
- Dans son opinion partiellement concordante, partiellement dissidente rendue en marge de l’arrêt M.S.S., le juge Sajò estimait que les demandeurs d’asile ne pouvaient pas tous être présumés vulnérables, bien que bon nombre d’entre eux le soient: CourEDH, arrêt n°30696/09, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21.1.2011, p. 103
- Sur ces notions : RUET Céline, «La vulnérabilité dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», Revue trimestrielle des droits de l’homme 2015, n°102, pp. 318-340
- STERN Rebecca, «At a Crossroads ? Reflections on the Right to Asylum for European Union Citizens», Refugee Survey Quarterly 2014, vol. 33, n° 2, pp. 54-83, p. 75
- Ainsi en est-il de la directive Accueil 2013/33/UE, de la directive Qualification 2011/95/UE et de la directive Procédures 2013/32/UE. Voir comité belge d’aide aux réfugiés, L’asile et la protection de la vulnérabilité – Prise en considération de la minorité et du traumatisme dans la procédure d’asile belge, Bruxelles, CBAR, 2014
- SCHUMACHER Pascal, Une vaste marge des États membres pour décider d’un transfert vers l’État responsable du traitement de la demande d’asile, La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, disponible sur https://revdh.revues.org/590 consulté, en dernier lieu, le 24 août 2015
- DUBOUT Edouard, «La vulnérabilité saisie par la Cour de justice de l’Union européenne», op. cit. pp. 31-57, p. 40
- VELLUTI Samantha, op. cit., p. 140
- VELLUTI Samantha, op. cit., p. 143
- DOUGLAS-SCOTT Sionaidh, op. cit., p. 632
- CONFERENCE DE HAUT NIVEAU SUR L’AVENIR DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME, Déclaration d’Interlaken, 19 février 2010, disponible sur http://www.coe.int/t/dgi/hr-natimplement/Source/interlaken_declaration_fr.pdf consulté, en dernier lieu, le 27 août 2015
- CourEDH, arrêt n° 6694/74, Artico contre Italie, 13.05.1980, pt 33
- VELLUTI Samantha, op. cit., pp. 150-151
- DOUGLAS-SCOTT Sionaidh, op. cit., p. 649
- MENA PARRAS Francisco Javier, «Libertés de circulation et conceptions particulières de droits fondamentaux : quelle conciliation à travers la marge nationale d’appréciation et le respect de l’identité constitutionnelle ? », in Besson Samantha et Levrat Nicolas (éds), Fondements du droit européen n° 3 : (Dés)ordres juridiques européens / European Legal (dis)ordres, Zurich, Schulthess Editions romandes, 2012, pp. 153-183, p. 156
- CourEDH, arrêt n° 34503/97, Demir et Baykara contre Turquie, 12.11.2008, pt 146
- Avis 2/13 du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, pts 170 et 172
- SPAVENTA Eleanor, op. cit., p. 49
- PORTUESE Aurélien, Le Principe d’Efficience Économique dans la Jurisprudence Européenne, Paris, Université Panthéon-Assas, 2012, p. 554
- DUBOUT Edouard, «La vulnérabilité saisie par la Cour de justice de l’Union européenne»,op. cit., pp. 31-57, pp. 36 et 45. Voir également l’ancrage du principe de subsidiarité dans le préambule de la CEDH prévu par le Protocole n° 15
- CJUE, 26 février 2013, Melloni, C-399/11, ECLI:EU:C:2013:107
- Avis de la CJUE 2/13 du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 189
- DUBOUT Edouard, Une question de confiance : nature juridique de l’Union européenne et adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme, RDLF 2015, Chron. n°09, (www.revuedlf.com)
- PLATON Sébastien, Le rejet de l’accord d’adhésion de l’Union européenne à la CEDH par la Cour de justice : un peu de bon droit, beaucoup de mauvaise foi ?, op. cit.
- DOUGLAS-SCOTT Sionaidh, op. cit., pp. 652, 657 et 663-665
- CAIRE Anne-Blandine, op. cit., p. 330
- CAIRE Anne-Blandine, op. cit., p. 358