Expertise génétique post mortem et vie privée
L’expertise génétique post mortem à l’épreuve du droit au respect de la vie privée et familiale
Par Géraldine Vial
Condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme en juin dernier, le régime français de l’expertise génétique post mortem et, plus particulièrement, l’exigence du consentement de la personne qu’il impose, vient d’être jugé conforme à la Constitution.
Dans l’affaire Pascaud c/ France, rendue le 16 juin 2011, la Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné le régime français de l’expertise génétique post mortem. Faisant fi de cette condamnation, le Conseil constitutionnel vient de juger ce régime conforme à la Constitution.
Le régime français de l’expertise génétique post mortem. Depuis la loi du 6 août 2004 (Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, JO n° 182 du 7 août 2004, p. 14040), l’article 16-11, alinéa 2 du Code civil interdit la réalisation d’une expertise génétique post mortem, sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant. L’identification génétique sur une personne décédée est ainsi rendue impossible en cas de refus explicite et, plus largement, en l’absence d’accord exprès de la personne durant sa vie. Une telle solution conduit, à l’évidence, à réduire considérablement la pratique de l’expertise post mortem, voire, dans certains cas, à supprimer toute possibilité d’établissement du lien de filiation. C’est cette conséquence qui a fait l’objet d’un recours devant la Cour européenne, puis devant le Conseil constitutionnel.
La solution de la CEDH. L’affaire Pascaud c/ France (CEDH, 16 juin 2011, req. n° 19535/08, D. 2011, act. p.1758) retrace l’histoire d’un enfant confronté à l’impossible établissement de sa filiation biologique. A sa naissance, le géniteur de cet enfant désira établir juridiquement son lien de paternité. Il procéda donc à une reconnaissance de paternité. Celle-ci ne put cependant être enregistrée à l’état civil en raison de l’existence d’une autre paternité, non contestée, celle du mari de la mère. Le père biologique, après un grave accident cérébral, fut ensuite placé sous sauvegarde de justice. Il décida néanmoins de poursuivre sa démarche d’établissement de sa paternité en demandant au juge la réalisation d’une expertise biologique. Cette expertise conclut à sa paternité à 99,999%. Il fut, par la suite, placé sous curatelle, puis décéda avant que l’action qu’il avait intentée ne puisse aboutir. Fort des résultats du test ADN, son fils biologique exerça alors une action aux fins de contester la paternité de l’époux de sa mère et de voir reconnaître celle de son géniteur. La Cour d’appel considéra cependant que, en raison de son état de santé, le consentement à l’expertise donné par le père biologique ne pouvait être valable. Le requérant ne put donc faire établir sa filiation biologique, malgré l’existence d’une preuve génétique. Il invoqua alors, devant la Cour européenne, une violation du droit au respect de sa vie privée et familiale, engendrée par l’impossibilité de faire établir sa filiation biologique.
Cet argument avait déjà été invoqué devant la Cour européenne, en 2006, dans l’affaire Jäggi contre Suisse, où un enfant sollicitait la réalisation d’une expertise génétique sur la dépouille de son auteur prétendu afin de connaître ses origines. La Cour avait considéré que « les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle » (CEDH, 13 juillet 2006, req. n° 58757/00, RTD civ. 2006, p. 727, obs. J.-P. Marguenaud ; RTD civ. 2007, p. 99, obs. J. Hauser). La Suisse avait alors été condamnée pour violation de l’article 8 CESDH.
Le régime français semblait donc menacé. C’est ainsi, sans grande surprise, que la Cour européenne l’a condamné dans l’affaire Pascaud. En effet, si l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée est bien prévue par les textes, en l’occurrence l’article 16-11, alinéa 2 du Code civil et pourrait, comme le souligne le Gouvernement français, avoir pour but légitime « la nécessité de protéger la sécurité juridique et d’assurer le respect du droit des tiers, en particulier celui d’être consentant à une expertise génétique », elle n’a pas été jugée proportionnée par la Cour européenne. Celle-ci a en effet observé que le droit français n’offrait pas au requérant « la possibilité de demander une nouvelle expertise ADN sur la dépouille du père présumé. Le défunt n’ayant pas de son vivant expressément donné son consentement selon la cour d’appel, il lui aurait fallu recueillir l’accord de sa famille. Or, [le défendeur] n’en avait aucune ». Ne pouvant plus par ailleurs faire établir sa filiation par reconnaissance ou possession d’état, le demandeur « ne disposait donc plus d’aucun moyen pour établir sa paternité biologique ». La Cour a alors précisé qu’elle avait « des difficultés à admettre que les juridictions nationales aient laissé des contraintes juridiques l’emporter sur la réalité biologique en se fondant sur l’absence de consentement [du défendeur], alors même que les résultats de l’expertise ADN constituaient une preuve déterminante de l’allégation du requérant […]. Elle en conclut que dans les circonstances de l’espèce, il n’a pas été ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence et que le requérant a subi une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée ». La France a donc été condamnée pour violation de l’article 8 de la Convention. D’aucuns pourront alors relever que cette condamnation est, en l’espèce, fondée sur l’ensemble des éléments ayant conduit à l’impossibilité pour le requérant de faire établir sa filiation biologique et non pas, seulement, sur l’interdiction de la réalisation de l’expertise biologique post mortem. Néanmoins, cette expertise est généralement requise lorsque aucun autre moyen ne permet plus d’apporter la preuve de la filiation biologique. On peut donc penser que, contrairement au Conseil constitutionnel, la Cour européenne ne regarde pas d’un très bon œil le régime français de l’expertise génétique post mortem.
La solution du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a, lui aussi, été saisi de la question du régime de l’expertise génétique post mortem (décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011). Plus précisément, le 6 juillet dernier, il lui a été demandé de se prononcer sur la conformité de l’alinéa 2 de l’article 16-11 du Code civil au principe du respect du droit à la vie privée et familiale que la Constitution garantit. Comme devant la Cour européenne, les requérants soulevaient ici une atteinte au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Ils invoquaient, en outre, une différence de traitement entre hommes et femmes, contraire au principe d’égalité devant la loi. Selon eux, les dispositions restrictives de l’article 16-11, alinéa 2, en ce qu’elles trouvent principalement à s’appliquer lorsque la filiation paternelle est en cause, créeraient ainsi une rupture d’égalité contestable. Aucun de ces arguments n’a cependant remporté l’adhésion du Conseil. Celui-ci a, d’une part, considéré que la présomption selon laquelle les personnes décédées n’ont pas consenti à l’expertise génétique est un obstacle que le législateur a volontairement posé pour assurer le respect dû aux défunts en évitant les exhumations abusives. Il a, d’autre part, rappelé que la recherche de maternité implique que l’enfant rapporte la preuve qu’il est bien celui dont la mère prétendue a accouché et qu’il n’est donc pas question, dans cette action, de preuve biologique. Pour les juges, la différence de traitement entre hommes et femmes soulevée par les demandeurs ne serait donc pas une différence de traitement créant une rupture d’égalité devant la loi, mais une simple différence de situations tenant à l’objet de la preuve à rapporter, qui varie selon que l’action concerne l’établissement de la paternité ou de la maternité. Le régime de l’identification génétique sur une personne décédée ne serait donc contraire à aucun droit que la Constitution garantit.
Ignorant la condamnation européenne, le Conseil constitutionnel a ainsi validé les dispositions de l’article 16-11, alinéa 2 du Code civil. Il en est, du reste, de même du législateur, qui a finalement décidé de ne pas remettre en cause le régime de l’expertise post mortem lors de la révision des lois bioéthiques en juillet dernier (loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, JO n° 0157 du 8 juillet 2011 p. 11826)…
Pour citer cet article : Géraldine Vial, « L’expertise génétique post mortem à l’épreuve du droit au respect de la vie privée et familiale », RDLF 2011, chron. n°16 (www.revuedlf.com)
Crédits photo : Svilen Milev, stock.xchng