Le mariage homosexuel, la Constitution et l’agrégée des facultés de droit
Le mariage homosexuel, la Constitution et l’agrégée des facultés de droit
Par Xavier Dupré de Boulois
Un article récemment publié dans la Gazette du Palais défend l’idée que le Parlement serait incompétent pour voter une loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe, motif pris que le caractère hétérosexué du mariage constituerait un PFRLR. Tant le recours à l’argument constitutionnel dans ce débat de société que la posture de l’auteure de cette contribution méritent d’être interrogés.
Dans un numéro récent de la Gazette du Palais, une professeure de droit privé ( ?) s’exprimant sous un pseudonyme promeut l’idée que le caractère hétérosexué du mariage constituerait un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du Préambule de la Constitution de 1946. En conséquence, la légalisation du mariage entre deux personnes de même sexe supposerait une révision constitutionnelle (Lucie Candide, « Le sexe, le mariage, la filiation et les principes supérieurs du droit français », GP, 4 octobre 2012, n°278, p. 7). Cette contribution, qui s’inscrit dans l’offensive menée par plusieurs professeurs de droit éminents (en dernier lieu, Ph. Malaurie, « Le mariage homosexuel et l’union civile », JCP éd. G, 2012, n°1096) contre le mariage homosexuel, est typique d’un certain discours doctrinal en même temps qu’elle interroge sur le recours à la référence constitutionnelle dans ce débat.
I. Registre du discours
La lecture de l’article interpelle d’abord au sujet du registre sur lequel entend se placer l’auteure. Elle se prévaut en effet à deux reprises de sa qualité de juriste. « Est-il permis d’examiner – ni en politique, ni en religieux ni en sociologue, mais en juriste d’aujourd’hui – le rôle de l’appartenance sexuée dans le mariage civil et dans la filiation ?» s’interroge-t-elle. Elle conclut plus loin que « du point de vue strictement juridique », le vote d’une loi constitutionnelle s’impose. En même temps, le lecteur n’a pas de peine à percevoir les convictions politiques et morales de l’auteure sur le mariage et la parentalité homosexuels. La réforme, dit-elle, est de « nature à traumatiser l’intimité des structures personnelles et familiales de la population française ». Son insistance à spécifier la nature de son propos peut d’abord être mise à son crédit. Il est rare que le juriste universitaire précise « d’où il parle » quand il s’exprime sur des sujets sensibles. Cette démarche est plus classique chez ses collègues d’autres sciences sociales. Mais il est aussi possible de s’interroger sur la signification de la précision apportée par l’auteure. Qu’entend-elle dire à son lecteur ? D’abord que son discours est légitime. Il bénéficie de la légitimité de l’expert. Il prétend à la neutralité et à l’objectivité inhérentes à la démarche scientifique ; ensuite, que la solution préconisée trouve dans un raisonnement purement juridique ses propres justifications. Elle est fondée en droit, elle s’impose en droit.
Cette posture n’est pas sans évoquer les analyses de Pierre Bourdieu lorsque celui-ci dénonçait « le tour de passe-passe […] par lequel le juriste donne comme fondé a priori déductivement quelque chose qui est fondé, a posteriori empiriquement » (« Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective », dans F. Chazel et J. Commaille, Normes juridiques et régulation sociale, LGDJ, Coll. Droit et Société, 1991, p. 95). Si elle peut bien sûr faire illusion auprès du profane, elle n’a plus guère sa place au sein de la doctrine juridique. Sauf pour les juristes qui considèrent qu’un code tel le Code civil est plus qu’un agrégat raisonné de règles juridiques, qu’il traduit aussi une réalité qui le dépasse. Or, c’est justement ce que donne à voir la manière dont l’anonyme Lucie Candide construit son discours
II. Construction du discours
L’appel à la Constitution
La mobilisation du droit constitutionnel au soutien de la thèse appelle deux remarques. Elle illustre d’abord l’acculturation progressive de l’argument constitutionnel dans le discours de la doctrine privatiste. Incontestablement, la « révolution QPC » est en marche. Si la Constitution a suscité l’intérêt des privatistes depuis une vingtaine d’années (voir par ex. la thèse de Nicolas Molfessis et la création d’une chronique des sources internes à la RTDCiv.), il n’en reste pas moins que jusque-là, le discours sur la constitutionnalisation du droit privé, du droit civil en particulier, avait surtout suscité la perplexité voire une franche réserve. L’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité a changé la donne comme en attestent les nombreux commentaires de décisions QPC du Conseil constitutionnel qui émaillent désormais les revues spécialisées en droit privé. Par ailleurs, la référence à la Constitution permet à l’auteure d’opérer un pont entre une certaine tradition de pensée civiliste à laquelle elle semble appartenir et le droit positif. Cette pensée repose sur la conviction que le Code civil, du moins certaines de ses dispositions, traduiraient une réalité anthropologique, historique voire biologique (pour ce qui concerne la question du mariage et de l’adoption homosexuels). Autrement dit, ce discours tend à naturaliser lesdites règles, à assimiler Sein et Sollen. Et l’on voit bien la ressource que représente la Constitution dans cette démarche. Elle est invitée à devenir l’expression positive d’une sorte de droit naturel qui surplomberait les lois.
La mise en œuvre de la référence à la Constitution
L’auteure évoque comme une « hypothèse sérieuse » que le caractère hétérosexué du mariage pourrait être un principe fondamental reconnu par les lois de la République. L’affirmation fait écho aux lointaines réflexions de Jean Carbonnier qui n’excluait pas que certains articles du Code civil se voient reconnaître une nature constitutionnelle « parce qu’ils exprimeraient un des PFRLR que le Conseil constitutionnel a pris sous sa protection » (« Le Code civil », dans P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire. II La Nation, Gallimard, 1986, p. 293). On ne reviendra pas ici sur les conditions de la reconnaissance de tels principes dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (par ex., Th. S. Renoux et M. de Villiers (dir.), Code constitutionnel, LexisNexis, 5e éd., 2012, p. 303). Sur le plan technique, ériger le caractère sexué du mariage en PFRLR pourrait s’envisager. Mais cette solution ne convainc pas. Il doit d’abord être relevé que, mis de côté le cas particulier des principes mettant en cause la juridiction administrative, tous les PFRLR consacrés jusque-là ont permis la promotion de nouveaux droits et libertés : liberté d’association, droits de la défense, liberté de l’enseignement, indépendance des professeurs d’université, aménagement spécifique de la justice pénale pour les mineurs, etc. À l’inverse, l’affirmation du caractère hétérosexué du mariage s’inscrit plutôt dans le registre de l’interdit voire, selon certains, de la discrimination. Un tel principe jurerait donc au sein de la liste des PFRLR proclamés jusque-là. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, s’il a décidé qu’il était loisible au législateur d’affirmer le caractère hétérosexué du mariage, n’en a pas pour autant affirmé que ce caractère procéderait d’une exigence constitutionnelle (CC, n°2010-92 QPC, 28 janvier 2011). Il n’a donc pas découvert de règle ou de principe constitutionnel qui « validerait » la thèse défendue par l’auteure. Enfin, et plus fondamentalement, il est possible de s’interroger sur l’idée d’une constitutionnalisation de dispositions du Code civil au motif qu’elles auraient reçu une application constante entre 1804 et 1946. Si tel est le cas du caractère hétérosexué du mariage déduit des articles 75 et 144 du Code civil, ne pourrait-on pas développer la même argumentation pour défendre la constitutionnalisation de l’inégalité homme – femme dans la famille, ses dernières manifestations juridiques ayant disparu en… 1985 ? Il peut d’ailleurs être relevé que les juristes n’ont pas manqué, en leur temps, de « naturaliser » lesdites règles à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui pour le mariage. Après tout, Portalis ne soulignait-il pas lui-même que « les rédacteurs du Code ont cherché dans les indications de la nature le plan du gouvernement de la famille » (P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, T1, Videcoq, p. 486). Et les références à la nature n’ont pas manqué pour justifier l’autorité du père de famille. « Tous les physiologistes reconnaissent à la femme une excessive sensibilité et comme conséquence une grande mobilité ». Aussi, « parce qu’il est plus prompt, le jugement de la femme est plus impropre à la continuité du raisonnement (…) à l’attention sérieuse que réclament chaque jour les intérêts et la conduite des affaires domestiques » (C. Barbier, De la puissance maritale, Thèse Caen, 1864, p. 152).
III. Et la prochaine étape ?
Il est rare que des décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour EDH recueillent les suffrages pour ne pas dire les louanges de la doctrine privatiste. Il en a été ainsi de leurs arrêts récents sur le mariage entre personnes du même sexe (CC, n°2010-92 QPC, préc.; CEDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf / Autriche, n°30141/04). Ils ont été largement approuvés en tant qu’ils impliquaient de laisser le soin au législateur français de décider. Le débat s’est désormais déplacé sur un nouveau terrain de jeu, un terrain sur lequel les opposants au mariage homosexuel disposent de nombreux atouts (soutien des églises, etc.). Néanmoins, « Un candidat heureux à la présidence de la Ve République » ayant défendu le mariage homosexuel dans son programme et disposant désormais de la majorité dans les deux chambres, la digue législative est en passe de céder. D’où l’intérêt de découvrir un nouveau principe constitutionnel qui garantirait le caractère sexué du mariage. Désormais, une loi constitutionnelle s’imposerait. Cette contrainte s’avérerait cependant relative. La Gauche ayant la majorité au Sénat et à l’Assemblée nationale, elle pourrait être en mesure de rassembler les trois-cinquième des suffrages exprimés au Congrès pour permettre une révision constitutionnelle (art. 89 de la Constitution). Sauf bien sûr à mobiliser l’opinion pour revendiquer une révision de la Constitution par voie référendaire. Cet exercice est toujours aléatoire pour le pouvoir en place même si des sondages récents laissent penser que la majorité de l’opinion n’est pas hostile à la reconnaissance du « mariage pour tous ». À supposer que cette nouvelle digue rompe à son tour, gageons qu’il se trouvera quelques auteurs pour défendre l’idée du caractère supraconstitutionnel de la règle déduite des articles 75 et 144 du Code civil. Cette référence à la supraconstitutionnalité ressusciterait alors un débat engagé en 1992 et temporairement clos par la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2003 (2003-469 DC). En quelque sorte, la boucle serait bouclée puisque un tel discours ramènerait en réalité aux prémisses de cette pensée doctrinale évoquée plus haut : la conviction que certaines des règles contenues dans le Code civil se bornent à transposer des principes issus de la Nature, quelle que soit la manière dont on conçoit cette naturalité (biologique, sociale, anthropologique). Pas plus que le législateur ordinaire, le pouvoir constituant ne pourrait-il remettre en cause de tels principes.
Pour citer cet article : Xavier Dupré de Boulois, « Le mariage homosexuel, la Constitution et l’agrégée des facultés de droit », RDLF 2012, chron. n°23 (www.revuedlf.com)
Crédits photo : Fotolia
Dommage que cet article soit si méprisant à l’égard des privatistes.
Comme quoi l' »ouverture d’esprit » est à géométrie variable !
Merci pour ce billet. Mélanger droit et politique n’a jamais été vraiment heureux. Reste à espérer que, s’il est saisi, le CC ne rende pas une de ces décisions surprenantes dont il a le secret.
Après lecture de Lucie Candide, mon humeur est presque égale à celle de l’auteur du billet.
Pourquoi parler par pseudonyme, alors que l’auteur publié à la Gazette du Palais, qui n’oublie d’ailleurs pas de mentionner qu’elle est « agrégée des facultés de droit », se pose d’emblée en expert du droit ?
Bon sang mais c’est bien sûr ! Le numérique est partout, l’édition numérique fleurit (tant mieux ! bel exemple ici), les blogs prospèrent … Leurs techniques n’auraient-elles pas envahi l’édition classique ? En bref, Lucie Candide n’est-elle pas un troll, lancé par un partisan du mariage homosexuel, constitutionnaliste de surcroît et excédé par le discours pseudo-constitutionnel, vague voire capillotracté de certains privatistes, décomplexés par la QPC ?… Le tout, dans une double entreprise de décrédibilisation ? Et peut-être même triple, si Lucie Candide s’avère en réalité Lucien Génu …
En tout cas, bravo, c’est réussi !
Je plaisante, bien sûr ! Mais, en droit comme ailleurs, ne vaut-il mieux pas rire de tout et, surtout, si l’on revient ici à ce qu’on peut appeler pompeusement la science juridique, de rien ?
A noter dans Le Figaro de ce jour (8 novembre 2012), l’article de Pierre Delvolvé (un publiciste donc) qui défend également l’existence d’un PFRLR.
Monsieur De Boulois,
Je respecte vos arguments et je les comprends parfaitement: on ne peut prendre prétexte à d’un titre professionnel pour prescrire de purs arguments d’autorité, cela je l’admets volontiers. Il s’agit de jugements de valeur et non pas de faits. Jusqu’ici je ne fais qu’enfoncer des portes que tout théoricien du droit digne de ce nom connaît aisément.
Toutefois, permettez-moi d’objecter quelques arguments à votre propos.
1) La forme d’argument d’autorité que vous dénoncez (autorité professionnelle et justification d’un jugement de valeur par le recours au bloc de constitutionnalité) est somme toute courante dans la doctrine juridique et même au-delà: Bourdieu lui-même ne s’en est pas privé dans certains de ses combats politiques. Auriez-vous dit la même chose s’il ne s’agissait pas du mariage homosexuel, mais d’une autre cause considérée comme moins réactionnaire?
2)J’en viens maintenant au sujet du mariage pour tous proprement dit. Sans me masquer derrière le masque d’un quelconque argument d’autorité je dois dire que j’y suis défavorable. A titre liminaire, ce point de vue, comme vous le savez, est un jugement de valeur et, en tant que tel, il n’est pas possible de le disqualifier (sauf à présupposer soi même un autre jugement de valeur). Cet autre jugement de valeur dont je parle, c’est le progressisme. Il apparaît aujourd’hui de bon ton d’adhérer à cette nouvelle religion que je résumerait succintement en ces termes: réduire, au nom de « l’égalité » et du « progrès », toute forme de discrimination sexuelles, raciales, etc.
En réalité les choses sont plus complexes: on peut adhérer pour partie à cette idéologie progressiste, mais pour partie seulement. Pour ma part, je me situe très à gauche d’un point de vue économique, mais je me distancie de l’idéologie progressiste sur certains points relatifs à certaines conceptions des droits de l’homme.
Les partisans du progressisme ne peuvent à leur tour échapper à cette question: au nom de quoi détiennent-ils le monopole du « progrès » dont l’attribution disqualifierait nécessairement les autres idéologies concurrentes? Car l’idéologie progressiste que l’on attribue rapidement aux « lumières » comporte en elle-même sa propre destruction: par l’introduction du relativisme moral, elle pose à son tour les jalons d’un remise en cause de sa propre légitimité. En quoi certains seraient-ils plus éclairés que d’autres ou prétendraient détenir la vérité du « progrès »? Après l’effondrement du communisme, existe-t-il dans nos sociétés désanchantés selon l’expression de Weber) un sens du progrès? Voilà,à mon sens, une question trop rapidement écartée qui traverse aujourd’hui l’ensemble d’une théorie des droits de l’hommme qui semble ne pas pouvoir être questionnée sous peine de discrédit intellectuel et d’arriération religieuse… Faut-il en déduire qu’une certaine conception des droits de l’homme se substitue progressivement au phénomène religieux?
Concernant plus précisémment le mariage pour tous, il m’apparaît aujourd’hui comme symptomatique de l’évolution actuelle des droits de l’homme. Il accrédite en effet l’idée d’une libéralisation des libertés individuelles sur le modèle néolibéral tandis que les libertés collectives sont, elles, en net recul. Ainsi, ne trouvez-vous pas que le modèle néolibéral (au sens du radicalisme du primat de la liberté individuelle sur tout autre chose) semble s’étendre aux rapports sociaux. Telle est la lecture personnelle que je fais du mariage pour tous. J’ajoute au crédit de mon propos que cette tendance se traduit elle aussi par le morcèlement de l’attribution de libertés au profit de micro-communautés et au détriment de l’ensemble du corps social.
Il faut pouvoir affronter ces questionnements fussent-ils rétrogrades pour une partie « éclairée » et éduquée de la population. Y a-t-il jamais eu un débat serein à la fois philosophique et juridique là-dessus? Les détracteurs du mariage pour tous étant directement qualifiés « d’homophobes » sans que l’on sache vraiement ce que recouvre cette notion qui s’est progressivement imposée dans le discours médiatique.
Sur la question constitutionnelle, voir aussi :
– Slate : http://www.slate.fr/story/65301/mariage-pour-tous-projet-loi-constitution
– Le Figaro, 19 novembre 2012, p. 20
Mariage homosexuel: un référendum est-il nécessaire?
L’Express, publié le 23 Novembre 2012 à 17:39
Pour Pierre Steinmetz le texte sur le mariage homosexuel pourrait être contraire au bloc constitutionnel, ce qui compliquerait la tâche du législateur.
Pierre Steinmetz, membre du Conseil constitutionnel et ancien directeur du cabinet de Jean-Pierre Raffarin, a confié à l’ex-Premier ministre que, selon lui, le mariage homosexuel était contraire au préambule de la Constitution, qui subsume nombre de textes législatifs antérieurs à 1946.
Cela permettrait de rendre obligatoire une modification constitutionnelle, donc la convocation d’un Congrès ou la tenue d’un référendum.
Sur le même sujet, une tribune publiée par M.A. Frison-Roche sur son blog : http://www.mafr.fr/spip.php?article3091
Egalement l’analyse de Daniel Mainguy sur son blog : http://www.daniel-mainguy.fr/article-yes-we-can-a-propos-du-mariage-des-homosexuels-112918787.html
L’analyse de Pascal Jan : http://www.slate.fr/tribune/65509/mariage-pour-tous-conforme-constitution