Constitution internationale et droits de l’homme [résumé de thèse]
Constitution internationale et droits de l’homme
Par Lucille Callejon-Sereni
Thèse soutenue le 25 novembre 2013 à l’Université Montpellier 1, sous la direction du Professeur Olivier de Frouville
Composition du jury : Madame Laurence Boisson de Chazournes (Université de Genève, Rapporteur), Madame Laurence Dubin (Université Paris VIII, Rapporteur), Monsieur Pierre-Marie Dupuy (Institut des Études Internationales et du Développement de Genève, Université Panthéon-Assas (Paris II), Président du jury), Monsieur Olivier de Frouville (Université Panthéon-Assas (Paris II), Membre de l’Institut Universitaire de France, Directeur de thèse), Monsieur Alexandre Viala (Université Montpellier 1).
Il peut sembler surprenant d’employer l’expression de « Constitution internationale », et plus encore le lien éventuel qu’elle entretiendrait avec les droits de l’Homme. Néanmoins, la thèse s’inscrit dans un mouvement doctrinal en pleine expansion, qui consiste à proposer une nouvelle lecture du droit international. Plus particulièrement, la thèse a pour ambition de proposer une lecture cosmopolitique du droit international. Cette lecture cosmopolitique s’appuie en outre sur l’émergence d’une hiérarchie matérielle au sein de l’ordre juridique international, notamment à travers les termes de « Communauté internationale », et d’ « Humanité ».
Le cosmopolitisme est une théorie qui puise ses racines dans la philosophie kantienne, mais qui comporte une dimension constitutionnelle essentielle. Ainsi, le cosmopolitisme est un constitutionnalisme, et la lecture cosmopolitique s’attache à étudier les contours de la Constitution internationale. Cette délimitation s’avère néanmoins complexe, tant par la diversité des approches qui y sont consacrées, que par la divergence terminologique employée par les auteurs. La thèse retient comme définition de la Constitution internationale l’ensemble des règles procédurales et substantielles qui structurent l’ordre juridique international, mais également comme processus d’organisation politique de la société internationale.
À cet égard, les droits de l’Homme sont traditionnellement envisagés comme un objet de la Constitution du droit international. Autrement dit, la très grande majorité des membres de la doctrine traite de la constitutionnalisation des droits de l’Homme en droit international. Si ce phénomène n’était pas contestable, il semble en revanche nécessaire de pousser la réflexion au-delà de ce constat. En effet, il paraît intéressant d’appréhender le droit des droits de l’Homme comme un point de départ – et non d’arrivée – de la Constitution internationale. Or, cette nouvelle orientation de la réflexion reste quasi-inexistante dans la doctrine étudiée. La théorie cosmopolitique est donc essentielle dans cette démarche, puisqu’elle seule est à même de rendre compte de manière cohérente du lien entre « droit international », « droit relatif aux droits de l’Homme », et « Constitution internationale ». La thèse soutenue est celle de l’existence d’une Constitution internationale nourrie par le droit international des droits de l’Homme. Il s’agit donc bien de montrer que les liens entre Constitution internationale et droits de l’Homme ne sont pas à sens unique, mais au contraire qu’il existe une portée constitutionnelle du droit international relatif aux droits de l’Homme.
Ainsi, il faut dans un premier temps identifier et analyser l’influence du droit des droits de l’Homme sur l’agencement des compétences en droit international. Cela suppose donc de vérifier l’intuition selon laquelle, loin d’être anodine, la portée des droits de l’Homme sur l’articulation du droit international pouvait être analysée en terme constitutionnel, et plus particulièrement, à l’aune d’une démarche cosmopolitique. L’étude a permis de relever que la Constitution internationale est le fruit d’une nouvelle modélisation du principe de souveraineté, qui implique une mutation de la fonction de l’Etat au sein de l’ordre international. Les droits de l’Homme influent sur le régime juridique des frontières géographiques par exemple, et permettent de ne plus percevoir la souveraineté comme un argument définitif, mais au contraire de « découvrir » que la souveraineté peut être facteur de carence de la part de l’Etat. Ce dernier n’est plus le seul maître de ses compétences, ni dans la détermination, ni dans leur mise en œuvre.
Il convient néanmoins de noter les facteurs de résistance à ce mouvement. En effet, la mutation de la Constitution internationale est le produit d’une tension permanente, entre plusieurs mouvements parfois contradictoires. A cet égard, la tension entre la Constitution économique libérale et la Constitution des droits de l’Homme ne trouve que rarement une issue harmonieuse. Néanmoins, la thèse ne peut se restreindre à ce seul cadre procédural, et les recherches ont donc permis de découvrir, par-delà la refondation des compétences, les principes de la Constitution cosmopolitique.
Dans un second temps, il s’agit de tracer les perspectives du projet constitutionnel cosmopolitique. Les recherches ont permis de démontrer l’existence d’une idée de droit véhiculée par les droits de l’Homme : le Bien commun. Le choix de ce terme est motivé par plusieurs considérations. Tout d’abord, la généralité qui permet de couvrir les domaines vastes que recouvre la Constitution cosmopolitique. Ensuite le sens véhiculé par cette expression, qui est liée tant à un processus de consolidation d’une Communauté politique, qu’à la finalité d’institutionnaliser une vision de ce qui est commun. Enfin, la souplesse de la notion qui permet d’être employée dans un cadre aussi original.
L’analyse du Bien commun de l’Humanité, en tant qu’idée de droit véhiculée par la Constitution cosmopolitique a permis de parvenir à deux constats principaux. Tout d’abord, les droits de l’Homme participent à l’éclosion d’une nouvelle idée du Bien commun, dans laquelle l’Humanité apparaît comme un nouvel objet du droit international, et la société civile internationale représente le maillon entre le pouvoir constituant international et les individus. L’ensemble des acteurs du droit international participent à l’émergence d’un projet de sécurité de l’Humanité. C’est en effet les situations de crise qui permettent de découvrir plus explicitement l’existence d’une volonté de consolider une vision commune, en l’occurrence la nécessité de protéger ce Bien commun autour de la question de la sécurité de l’Humanité. Ensuite, la perspective cosmopolitique du Bien commun permet d’éviter les écueils d’une approche territoriale (l’idée d’un territoire de l’Humanité, tel que le concept de patrimoine commun de l’Humanité, ou à tous le moins celle d’un territoire non soumis aux souverainetés étatiques, comme en Antarctique). L’approche territoriale, fondée sur le principe de propriété reste vaine. En revanche, l’approche délibérative du Bien commun représente une démarche plus pertinente. Celle-ci s’appuie sur une interaction renforcée du droit de l’environnement avec les droits de l’Homme. Dès lors, l’apparition de l’Humanité comme un nouvel objet du droit international nécessite une nouvelle réflexion, notamment concernant les mécanismes de responsabilité environnementale à l’égard des générations futures. Manifestement, il y a une inadéquation entre les mécanismes de responsabilité classique, et l’appréhension du risque environnemental. Dans ces conditions, une plus grande institutionnalisation de l’Humanité semble désormais une conséquence logique de la conception contemporaine du Bien commun. Par ailleurs, en ce qui concerne la réflexion sur le droit des droits de l’Homme, l’étude a permis de relever que la Constitution cosmopolitique suggère une ouverture du régime des droits de l’Homme, qui acquiert progressivement une nouvelle dimension, intégrant les générations passées, présentes et futures.
Le projet cosmopolitique auquel la thèse tente de participer à une petite échelle reste évidemment un horizon permanent. L’objectif n’était pas de prédire l’évolution inéluctable du droit international en direction d’un Droit universel. En revanche, il s’agissait d’insister sur le fait qu’il existe une tension, de plus en plus prégnante, entre d’une part le droit international classique, fondée sur le principe de souveraineté et l’Etat comme sujet central, et d’autre part, un droit international des droits de l’Homme, porteur d’une nouvelle Idée de droit, qui représente l’élément déterminant du cosmopolitisme juridique.