La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement. Contribution à l’étude des mécanismes de conciliation
Thèse soutenue le 27 novembre 2014 devant un jury composé de Monsieur Philippe BILLET (Directeur), Professeur à l’Université de Lyon III, Madame Maryse DEGUERGUE (Rapporteur), Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Madame Pascale IDOUX (Rapporteur), Professeur à l’Université de Montpellier I, Monsieur Patrick CHARLOT, Professeur à l’Université de Bourgogne et Monsieur François-Guy TREBULLE, Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
Le droit de l’environnement apparaît d’abord comme un obstacle à la liberté d’entreprendre ou tout au moins comme une limite à cette liberté. Droit de police, il permet d’assigner des lieux d’implantations, d’imposer des prescriptions de fonctionnement, des normes de rejets, qui forment autant de contraintes susceptibles de remettre en cause cette liberté, tant en droit interne, qu’en droit de l’Union européenne. Les principes du droit de l’environnement (précaution, prévention, pollueur-payeur, réparation, information, participation) et les concepts qui en découlent (préjudice écologique, correction par priorité à la source, utilisation des meilleures techniques disponibles) ont sensiblement modifié le paysage juridique et renouvelé les techniques d’intervention de la puissance publique (fiscalité, quotas d’émission, marchés publics avec critères environnementaux). Paradoxalement, les nouveaux risques et les attentes de la société civile ont justifié des limitations encore plus fortes à l’exercice des activités économiques.
Les rapports ne sont cependant, pas aussi tranchés. L’accession du droit de l’environnement à un rang constitutionnel égal à celui de la liberté d’entreprendre impose de revisiter ces relations dans des termes plus apaisés et appelle un jeu de concessions réciproques. L’objectif de conciliation entre les enjeux environnementaux et les enjeux économiques est plus que jamais recherché. Si la liberté d’entreprendre constitue « le fondement » (G. DRAGO, p. 29, in Les libertés économiques, G. DRAGO et M. LOMBARD (dir.), éd. Panthéon Assas, 2003, 169 p.), « la pierre angulaire » (R. LETTERON, Libertés publiques, 9ème éd., Dalloz, coll. Précis, 2012, n° 713.) des régimes libéraux force est de constater que la place grandissante accordées aux problématiques environnementales conduit à la recherche systématique d’un équilibre entre l’exercice des libertés économiques et les mesures de protection de l’environnement. L’analyse des régimes juridiques de protection de l’environnement conduit à ce résultat. À rebours des idées reçues l’on perçoit aisément que le droit de l’environnement et plus largement l’ensemble des branches du droit qui participent à la protection de l’environnement ne sont pas liberticides, de la même manière qu’il est excessif, pour ne pas dire erroné, de considérer que la liberté d’entreprendre, dans ses diverses déclinaisons, prime nécessairement sur les enjeux environnementaux. Qu’il s’agisse du législateur ou, en dernier ressort du juge, tous deux semblent œuvrer en ce sens, l’objectif étant de garantir la liberté d’entreprendre tout en préservant l’environnement. Lorsque tel n’est pas le cas, ce n’est pas tant en raison de l’incapacité des dispositifs juridiques existants que des choix politiques opérés en amont.
En dehors de toute opposition, le droit contribue désormais à la rencontre de ces enjeux. La liberté d’entreprendre est en effet soumise à une régulation environnementale par l’intermédiaire des principes directeurs du droit de l’environnement. Il apparaît que les dispositifs juridiques de protection de l’environnement qui régulent la liberté d’entreprendre s’inscrivent dans une démarche de conciliation. Fondé sur des principes de prudence et d’imputation, le droit de l’environnement insuffle une nouvelle dynamique à la liberté d’entreprendre. Son exercice s’en trouve modifié, il s’appréhende différemment. Ainsi, les opérateurs économiques sont amenés à anticiper les risques, en développant la recherche scientifique, à anticiper les dommages, en recourant à des mécanismes préventifs, à prendre en charge financièrement les mesures qui en découlent et enfin, à assumer économiquement, voire juridiquement, les conséquences de la réalisation d’un dommage environnemental. La régulation de la liberté d’entreprendre conduit donc, progressivement, les opérateurs économiques à repenser la façon dont ils exercent leurs activités, l’objectif étant de les inciter à faire de l’élément environnement une donnée inhérente au développement de leurs activités.
Pour parvenir à ce changement de paradigme, la régulation de la liberté d’entreprendre met en place des obligations de faire ou de ne pas faire. À partir du moment où la protection de l’environnement « doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » (Charte de l’environnement, cons. n° 6), il ne peut en être autrement. La conciliation induit donc des restrictions aux libertés économiques. Elle suppose de limiter le libre exercice des activités qui, par nature, sont susceptibles de porter atteinte au milieu naturel. Sans restriction, ni limitation il ne peut y avoir de conciliation. Pourtant, il ne faut pas se méprendre, la conciliation par voie de régulation donne lieu à « une articulation entre les intérêts économiques et environnementaux et non la soumission du développement économique à un haut niveau de protection des biens environnementaux » (M. DEFFAIRI, La patrimonialisation en droit de l’environnement, Thèse Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2013, p. 417. L’auteur par cette phrase explique la préférence du juge constitutionnel pour le terme conciliation à celui d’intégration, mais elle illustre parfaitement nos développements). La construction législative et jurisprudentielle des dispositifs de protection de l’environnement se fait en réservant une place de choix à la liberté d’entreprendre. Certes, celle-ci est parfois conditionnée ou fortement orientée mais les autorités publiques, qu’il s’agisse du législateur, du pouvoir réglementaire ou du juge, à tous les niveaux, interne et de l’Union européenne, tentent de parvenir à un équilibre entre des enjeux par nature opposés.
Si effectivement, cette recherche permanente d’équilibre débouche dans certains domaines – fiscalité écologique, remise en état ou encore réparation du dommage écologique – sur des insuffisances en termes de protection de l’environnement, au profit de la liberté d’entreprendre et des intérêts économiques, « il n’en demeure pas moins que l’exigence de protection de l’environnement a fait son chemin, pour une part de manière irréversible » ( F. COLLART-DUTILLEUL et R. ROMI, « Propriété privée et protection de l’environnement », AJDA, 1994, p. 571).
Irréversible, en effet, dans la mesure où les politiques économiques intègrent désormais pleinement les considérations environnementales. Il ne s’agit plus ici d’une simple régulation. La problématique est pour ainsi dire inversée. L’État ne régule plus directement la liberté d’entreprendre ; il assimile l’objet nécessitant cette régulation dans les politiques publiques à vocation économique. De ce fait, les opérateurs économiques sont incités à réaliser cette intégration sur un terrain qui leur est propre : le marché.
En parallèle, conscientes du potentiel de cette évolution, les entreprises participent elles aussi au développement de ce phénomène. Dans ces conditions, se dessine aujourd’hui une véritable intégration des considérations environnementales dans la sphère économique, satisfaisant un peu plus l’objectif de conciliation.
Il s’agit là du dessein assigné au principe d’intégration. Il met en évidence les interactions positives qu’il existe entre la liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement. Sur son fondement la première peut en quelque sorte venir au soutien de la seconde, alors même qu’elle est essentiellement à l’origine de sa dégradation. Cet aspect de la relation se concrétise par l’action du législateur qui intègre les problématiques environnementales dans les politiques économiques, principalement à des fins d’incitation, mais également par une intégration volontaire des opérateurs économiques, qui utilisent les libertés dont ils bénéficient pour participer à la protection de l’environnement, à tout le moins à sa non-détérioration. Cette intégration publique et privée s’appuie sur un double constat. Tout d’abord, une démarche exclusivement axée sur la régulation n’est pas suffisante pour parvenir à la réalisation de l’objectif de développement durable. Ensuite, les opérateurs économiques appréhendent aujourd’hui la problématique environnementale comme une opportunité économique notamment en termes de différenciation et donc de concurrence.
Les relations qu’entretiennent la liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement sont donc riches et complexes à la fois. L’on constate finalement que la conciliation de la liberté d’entreprendre et de la protection de l’environnement entraîne une adaptation ou plutôt une évolution de l’exercice des libertés économiques. Surtout, cette conciliation qu’elle soit imposée ou volontaire, qu’elle soit le fait du législateur, des juridictions ou des opérateurs économiques eux-mêmes, prolonge la notion de développement durable. Elle lui offre une existence juridique à travers l’ensemble des dispositifs juridiques de protection de l’environnement.