La liberté d’expression commerciale. Etude comparée sur l’émergence d’une nouvelle liberté fondamentale
Thèse soutenue le 6 février 2014 à l’Université d’Aix-Marseille devant un jury composé de Guy SCOFFONI, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence (directeur de recherches), Jordane ARLETTAZ, Professeur à l’Université Montpellier 1, Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS, Professeur à l’Université de Montréal, Ludovic HENNEBEL, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles – FNRS, André ROUX, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence et Hélène SURREL, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon.
La liberté d’expression est reconnue comme étant une liberté fondamentale, une liberté constitutionnellement protégée, ou un droit de l’homme, selon l’ordre juridique considéré. Quelle que soit la dénomination retenue, elle bénéficie d’une protection particulière. La question peut se poser de l’extension de cette protection au domaine commercial. C’est plus précisément la question de la reconnaissance de la liberté d’expression commerciale en tant que liberté fondamentale qui apparaît. De la place qui sera accordée au sein des droits fondamentaux à la liberté d’expression commerciale dépendra la protection octroyée à cette dernière.
Une liberté peut être qualifiée de fondamentale si elle répond à certains critères, comme le fait de bénéficier d’une place prépondérante dans la hiérarchie des normes, la possibilité de saisir une autorité compétente en cas de violation de cette liberté. Or la liberté d’expression commerciale, non seulement peut être considérée comme une composante de la liberté d’expression, mais encore peut être qualifiée de liberté fondamentale à part entière. Ceci amène à considérer l’hypothèse de l’émergence d’une nouvelle liberté fondamentale, révélant dans le même temps un nouveau critère de classification des droits fondamentaux.
La question de la place de la liberté d’expression commerciale parmi les droits fondamentaux inscrit la réflexion au sein des droits et libertés. Mais la dimension économique de l’expression commerciale ne doit pas être oubliée. Même, elle constitue le cœur des débats qui l’entourent. Le lien entre les droits fondamentaux et le droit économique suscite des interrogations, et la particularité du discours commercial sur ce point renouvelle la réflexion qui y est afférente. En effet, il ne s’agit pas seulement de rappeler qu’il existe des droits fondamentaux à caractère économique, en suggérant que la liberté d’expression commerciale soit un droit fondamental économique parmi les autres, mais plutôt de proposer l’émergence d’une liberté particulière. Cette liberté présente à la fois la nature d’un droit fondamental classique et d’un droit fondamental économique, permettant d’allier sans dissocier la liberté d’expression et sa dimension commerciale.
Cette idée de liberté fondamentale nouvelle, présentant une dualité de nature, imprime un nouveau mouvement s’agissant de la détermination des champs d’intervention des droits fondamentaux et du droit économique. Elle implique une nouvelle dynamique dans la perception des catégories de libertés fondamentales. En effet, si les droits et libertés ne sont pas hiérarchisés, en revanche ils peuvent être classés. Les méthodologies relatives à la classification des droits fondamentaux sont nombreuses et varient d’un ordre juridique à un autre, et parfois même d’une vision doctrinale à une autre. La liberté d’expression commerciale, en ce qu’elle relève à la fois des libertés classiques, et des libertés économiques, permet la mise en place d’une catégorie nouvelle dans laquelle s’inscriraient les droits et libertés présentant une double nature civile et économique.
L’intérêt de la construction de cette nouvelle catégorie de droits fondamentaux est multiple. En premier lieu, elle permettrait de renouveler les catégories traditionnelles existantes de droits et libertés et de redynamiser les méthodologies de classification actuelles. En second lieu, cela permettrait l’intégration de certains droits et libertés dans une structure de classification plus adéquate et plus stable. Enfin, les droits fondamentaux sont une catégorie juridique évolutive. Renouveler leur méthodologie de classification participerait à cette évolution en leur offrant de nouvelles perspectives.
En suggérant une nouvelle catégorie de droits fondamentaux, la liberté d’expression commerciale bouscule nécessairement les catégories existantes. Elle révèle ainsi toute la complexité de la classification des droits fondamentaux. Dans le même temps, la liberté d’expression commerciale ouvre une voie tendant à faire évoluer les typologies actuelles de classification, non pas en soulignant une éventuelle faiblesse dans les typologies traditionnelles, mais plutôt en les complétant et en renforçant les critères actuels de classification.
En outre, l’enjeu de la reconnaissance de la liberté d’expression commerciale comme étant une liberté fondamentale est celui du rapprochement des droits fondamentaux et du droit économique. Ce rapprochement ne se traduit pas seulement par une juxtaposition de ces deux domaines juridiques, mais véritablement par une collaboration entre eux. La liberté d’expression commerciale peut ainsi permettre un dépassement des clivages traditionnels entre droit et économie. Dans certains ordres juridiques, elle constitue même le parachèvement d’un travail visant à réunir droits fondamentaux et droit économique.
Le contexte français est encore peu développé sur le terrain de la liberté d’expression commerciale, mais le Conseil constitutionnel offre tout de même quelques pistes de réflexion sur la question. Les États-Unis peuvent quant à eux être qualifiés de précurseurs dans le domaine du discours commercial. En effet, même si la Cour suprême américaine ne s’est que tardivement prononcée sur la question, elle est intervenue bien avant la plupart des juridictions ayant eu à connaître de contentieux liés au discours commercial. La doctrine américaine, quoique partagée sur la protection à accorder au discours commercial, est sans conteste la plus prolixe sur ce sujet. La jurisprudence et la doctrine canadiennes complètent, même en s’en écartant parfois quelque peu, l’approche américaine du sujet. Enfin, cette conception commune nord-américaine mérite d’être mise en perspective avec ce qui semble être le dénominateur commun européen relatif à la liberté d’expression commerciale. Ce dénominateur commun peut se déceler à travers les jurisprudences de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme. Leurs décisions révèlent tout autant les difficultés d’appréhension de la liberté d’expression commerciale que la volonté de lui octroyer une véritable protection.
Le hiatus entre droit et économie tend à se réduire, et la consécration d’une liberté telle que la liberté d’expression commerciale permet un nouvel angle d’approche des relations entre le droit et l’économie. En effet, désormais, le droit et l’économie interagissent. Les droits et libertés participent à l’économie de marché, et en cela le lien entre droits fondamentaux et économie est renforcé. Mais ce lien ne se limite pas à une jonction du droit économique et des droits fondamentaux. Bien plus, il permet la création de droits fondamentaux économiques. La nature économique du discours commercial l’inscrit pleinement tout à la fois au sein des droits et libertés et au sein du droit économique, et au point d’interaction de ces deux domaines. La liberté d’expression commerciale illustre ainsi la communicabilité du droit constitutionnel avec les autres matières juridiques. Elle évolue en effet au sein du droit de la propriété intellectuelle, notamment à travers le droit des marques, le domaine de la parodie, de la caricature, mais aussi le droit de publicité, ainsi que le droit des nouvelles technologies avec les différents droits liés à Internet, notamment le nom de domaine. Dès lors, la liberté d’expression commerciale est un vecteur de diffusion du droit constitutionnel. Elle est donc un vecteur de diffusion des droits fondamentaux.
Ainsi, d’un point de vue disciplinaire, l’émergence de la liberté d’expression commerciale permet de faire communiquer le droit constitutionnel avec d’autres matières juridiques, initiant ainsi une potentielle constitutionnalisation de nombreux domaines juridiques. En permettant une interaction des droits fondamentaux avec d’autres matières, en leur donnant de renforcer leurs liens avec le droit économique et en leur offrant de nouvelles perspectives de classification, la liberté d’expression commerciale devient ainsi une source de renouvellement des droits fondamentaux.