L’étranger et le droit pénal : étude sur la pertinence de la pénalisation [Résumé de thèse]
L’étranger et le droit pénal : étude sur la pertinence de la pénalisation
Par Céline Chassang
Thèse soutenue le 6 décembre 2013 à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, sous la direction de Madame le Professeur Élisabeth FORTIS.
Composition du jury : Madame Élisabeth FORTIS (Directrice de recherche), Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Madame Pierrette PONCELA (Présidente), Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Monsieur Pierre-Henri PRÉLOT (rapporteur), Professeur à l’Université de Cergy-Pontoise ; Madame Claire SAAS, Maître de Conférences – HDR à l’Université de Nantes ; Monsieur Jean-François SEUVIC (rapporteur), Professeur à l’Université de Lorraine.
Mention très honorable avec les félicitations du jury, proposition pour une subvention pour publication et pour un prix de thèse.
Cette étude analyse le droit pénal spécifique applicable aux étrangers, personnes physiques, et évalue la pertinence de celui-ci au regard d’un balancement entre distinction et assimilation, observable en droit pénal. Dans un premier temps, l’étude démontre que les différentes distinctions entre étrangers et nationaux en droit pénal peuvent être contestées. D’une part, la pénalisation dont font l’objet l’ensemble des étrangers ne semble pas opportune car elle apparaît tantôt superflue – lorsque le droit pénal se superpose à un dispositif civil et administratif suffisant – tantôt illégitime – lorsque le droit pénal utilise l’apparence d’extranéité comme critère d’application. Les infractions de mariage de complaisance et de reconnaissance frauduleuse d’enfant, dédiées aux personnes de nationalité étrangère, semblent en effet superflues au regard des règles de droit civil et de droit administratif qui appréhendent déjà les comportements ainsi incriminés. Quant à la peine d’interdiction du territoire français, également dédiée aux non-nationaux, elle ne présente pas non plus une nécessité évidente. L’existence parallèle de l’expulsion administrative, englobant le domaine de l’interdiction du territoire français, permet de confirmer cette affirmation. Puis, au-delà de ces distinctions fondées sur l’appartenance à une nationalité étrangère, le droit pénal appréhende également les personnes qui semblent appartenir à une nationalité étrangère. Certaines dispositions, en apparence neutres, s’appliquent ainsi davantage aux personnes supposées appartenir à une nationalité étrangère. Ainsi en est-il des contrôles d’identité, des infractions de bigamie, de dissimulation du visage dans l’espace public ou d’occupation illicite de terrain. D’autre part, la pénalisation spécifique dont font l’objet les étrangers en situation irrégulière apparaît inadéquate. En effet, dépendante de l’évolution des règles administratives et européennes, la pénalisation revêt, en la matière, un caractère particulièrement instable. Cette instabilité est due autant à la variabilité de la qualité d’étranger en situation irrégulière qu’au mouvement de dépénalisation initié par le droit de l’Union européenne. En la matière, le droit dérivé et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne jouent un rôle prépondérant. L’interprétation par la Cour de Luxembourg du droit de l’Union européenne a ainsi permis de faciliter l’accès au séjour à un certain nombre d’étrangers et d’affirmer le caractère subsidiaire du droit pénal en matière de séjour irrégulier. En outre, au regard du droit administratif régissant l’éloignement des étrangers du territoire français et de la répression connexe dont font l’objet les pourvoyeurs d’immigration illégale, cette pénalisation ne présente qu’un intérêt relatif pour lutter contre l’immigration irrégulière. Le dispositif administratif prévu par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet en effet de procéder à l’interception des étrangers en situation irrégulière dès leur entrée sur le territoire français, mais également d’organiser l’éloignement volontaire ou forcé des étrangers séjournant irrégulièrement en France. De plus, pour lutter contre l’immigration illégale, des sanctions particulièrement dissuasives sont prévues à l’encontre des personnes qui favorisent l’immigration irrégulière : les transporteurs de voyageurs, les employeurs et, de manière plus générale, les personnes qui aident, facilitent ou tentent de faciliter l’entrée et le séjour irréguliers.
Dans un second temps, l’analyse montre, à travers un mouvement d’assimilation progressive de l’étranger au national, que le droit pénal sait aussi se désintéresser de la qualité d’étranger. D’une part, cette assimilation répond à un impératif d’égalité qu’il est possible d’observer dans le cadre du procès pénal, mais également à l’aune de la création d’immunités pénales au profit de certains étrangers. Sur le plan procédural, l’indifférence à la nationalité assure en effet l’égalité entre étrangers et nationaux même si plusieurs déséquilibres peuvent être constatés. Pour restaurer l’égalité, le droit pénal prend d’ailleurs en considération les inégalités de fait liées notamment à la méconnaissance de la langue française. S’agissant du droit pénal substantiel, on observe également une assimilation de certains étrangers aux nationaux : les étrangers intégrés et les étrangers en situation de faiblesse protégés contre les mesures d’éloignement. En effet, depuis la loi du 31 décembre 2012, abrogeant le délit de séjour irrégulier, seules subsistent, en matière d’infractions relatives au séjour irrégulier lato sensu, les infractions qui supposent le prononcé d’une mesure d’éloignement. Les étrangers protégés contre les mesures d’éloignement se voient donc mécaniquement conférer une immunité contre les infractions relatives à la méconnaissance des mesures d’éloignement. À leur égard, la spécificité du droit pénal des étrangers s’estompe. D’autre part, cette assimilation répond aussi à une logique répressive. La coopération pénale internationale et la lutte contre l’impunité commandent le dépassement du critère de nationalité. Si, en France, la procédure extraditionnelle classique représente un frein à l’assimilation des étrangers aux nationaux en raison du principe traditionnel de non-extradition des nationaux, cette assimilation est favorisée au sein de l’Union européenne. En effet, grâce à l’instauration du mandat d’arrêt européen, la nationalité n’est plus un obstacle à la remise d’une personne. Mais, plus encore que le mandat d’arrêt européen, c’est la compétence universelle qui entraîne une véritable disparition de la qualité d’étranger et consacre l’assimilation de l’étranger au national. L’analyse croisée de ces deux mouvements a ainsi permis d’évaluer la pertinence de la pénalisation spécifique de l’étranger. La combinaison d’une pénalisation contestable et d’une assimilation progressive permet en effet de repenser l’appréhension de l’étranger par le droit pénal. À l’issue de l’analyse, il est apparu que le droit pénal pouvait se désintéresser davantage de la qualité d’étranger.